Mais c'est aussi une lourde responsabilité que de se pencher sur l'un des aspects de l'oeuvre d'un monument comme l'auteur de «La grande maison», «L'incendie» et «Le métier à tisser». La responsabilité est d'autant plus grande quand les auteurs sont de brillants chercheurs aux compétences avérées, connues et reconnues. C'est le cas des trois grosses pointures ayant coordonné ce nouveau livre consacré à Dib: Charles Bonn, Mounira Chatti et Naget Khadda. Ces derniers ont,en effett dirigé ce livre portant sur le théâtre des genres dans l'oeuvre de Mohammed Dib. Le livre, qui vient à peine de paraitre, est le fruit d'un colloque de haute facture consacré à Mohammed Dib et auquel ont pris part les universitaires qui ont contribué à ce volume. Dans son nouveau livre, il est rappelé que, plus que par le réalisme que commandait la décolonisation dans les années cinquante et auquel on l'a fréquemment limitée, l'oeuvre de Mohammed Dib produit le plus souvent le sens par la théâtralisation des situations, comme de certains personnages, ou plus fondamentalement, des langages: rencontre théâtralisée entre différents genres, différentes paroles, ou différents espaces d'expression. L'oeuvre gigantissime de Dib Ce livre collectif vise à appréhender sous un angle nouveau l'oeuvre gigantesque et brillantissime de Mohammed Dib, en l'extirpant aux lectures conventionnelles, voire réductrices, auxquelles certains critiques nous ont habitués. «L'approche de ces textes par le biais de la mise en scène des langages plus que par la description thématique, se veut donc un des premiers pas vers une relecture de cette oeuvre trop longtemps prisonnière de l'actualité de la décolonisation. Elle montre que cette contrainte a perdu de son actualité dans les productions tardives de l'écrivain. Dans ces dernières, certes, l'Algérie reste présente, particulièrement avec le terrorisme islamiste qu'elle subit, mais n'est plus qu'un espace politique problématique parmi d'autres», ajoute-t-on en guise d'introduction au livre. Parmi les contributions que le lecteur lira dans cet ouvrage, il y a celle de Zineb Ali-Benali, et où il est question du genre comme construction dans l'oeuvre dibienne et l'importance du poème. L'auteure s'interroge d'emblée: Une lecture des textes dibiens dans la perspective des questions de genre est-elle possible? Et de répondre: «Pour le poète Dib, la femme est porteuse du rêve de liberté et de l'élan qui l'anime. Elle est (la mère, l'aimée, l'enfant...) celle qui inspire et dit un verbe de profonde vérité. «Pour l'écrivain attentif à ce qui se passe dans sa société, puis dans les sociétés de l'ailleurs, les relations entre les hommes et les femmes s'inscrivent dans une histoire, sociale et politique, héritière d'un patriarcat qui sait s'adapter. Mais cette histoire est aussi celle d'un mouvement de changement et de création d'inédit», ajoute Zineb Ali-Benali. La face méconnue du livre De son côté, Guy Basset qui n'est pas à présenter, tout comme la majorité écrasante des collaborateurs à cet ouvrage collectif, rappelle que l'oeuvre de Dib comporte un volume rassemblant cinq contes algériens, qui paraît peu de temps après l'installation de Dib en métropole en 1959 et quelques autres contes parus principalement en revues, ou même certains qui sont restés inédits: cette face méconnue de son oeuvre la traverse souterrainement d'un bout à l'autre et entretient avec ses fictions des relations étroites. «Dib n'hésite pas à faire référence de temps en temps à toute cette tradition orale transmise par les contes et aussi les proverbes», souligne Basset tout en tentant de répondre à la question: «Quelle articulation faut-il faire entre la création littéraire pure et le recours à cette littérature populaire qui peut mettre en scène des animaux et des hommes dans leurs relations réciproques?». Quant à Mounira Chatti, elle se penche sur «Simorgh», l'un des derniers livres de Dib. Chatti rappelle que dans «Simorgh», Mohammed Dib aborde les thèmes de la langue, de l'étranger ou du potentiel du rêve en mêlant la poésie, le conte, la nouvelle, l'essai, le journal. «La réactualisation du mythe et du symbole du Simorgh et d'OEdipe permet d'interroger, de manière novatrice et oblique, la condition humaine et la création contemporaines. Dib brise le mur entre les genres littéraires puisque, ainsi qu'il le suggérait dès 1961, le roman est «une sorte de poème inexprimé» et la poésie le noyau central du roman», analyse Mounira Chatti avant de conclure en soulignant que «Simorgh», texte ultime de Dib, fait éclater les limites entre les genres, les langues, les imaginaires, les patrimoines littéraires et philosophiques. Il faut préciser que Mounira Chatti est professeure à l'université Bordeaux Montaigne. Naget Khadda précise, pour sa part, que Dib, qui a la particularité d'avoir mené de front une réflexion critique et le geste d'écriture, nous offre un texte disparate qui donne à voir la scénographie de l'interaction de ses multiples références (philosophiques, linguistiques, mythiques, génériques...). Dans sa contribution, Naget Khadda s'attache à montrer comment, sur la scène de ce théâtre des compétitions culturelles, se dessine, chemin faisant, «la tension vers une esthétique du signe qui récuse toute description mimétique du monde». Toutes les autres contributions sont également enrichissantes et apportent un éclairage nouveau et pointu sur l'un des aspects de l'oeuvre de Dib.