Hanane Bouraï fait partie de la jeune génération d'écrivaines algériennes qui peuvent aller loin en littérature. Bien que de formation et de profession anglophones, elle a choisi la langue française pour écrire ses trois romans publiés jusque-là :L'arbre infortuné (édition El Amel), Aussi loin iras-tu (édition Apic) et Alter ego (éditions Apic). Elle nous parle de ses trois livres, de sa passion pour l'écriture, des réactions de ses proches après la parution de son premier roman ainsi que de son auteur préféré. L'Expression: Pour nos lecteurs qui n'ont pas encore découvert vos livres, pouvez-vous vous présenter? Hanane Bouraï: Je suis Hanane Bouraï, alias Junon Lys, romancière depuis 2014 et ancienne enseignante de langue anglaise. Je suis de Boudjima, une commune de la wilaya de Tizi Ouzou. J'ai trois romans à mon actif: L'Arbre infortuné, Aussi loin iras-tu et Alter ego . Peut-on savoir à quand remonte exactement l'idée d'écrire un roman? Ça remonte au moment même où j'écrivais mon premier roman, L'Arbre infortuné»; elle est née avec. Au début, j'écrivais pour moi-même, pour évacuer des sentiments et exorciser des démons. À mesure que mon texte prenait la forme d'un roman, l'idée devenait de plus en plus nette et ce que je voulais en faire devenait évident à chaque phrase ajoutée. Encouragée de votre part et par quelques proches à l'époque, je n'avais pas hésité à foncer. En général, les écrivains commencent par la poésie avant d'aller vers le roman. Ce n'est pas votre cas, pourquoi? C'est peut-être dû au fait que je ne lisais pas beaucoup de poésie. C'est toujours le cas d'ailleurs; à part quelques textes dans le genre, j'avoue ne pas y être tellement attirée. J'ai toujours préféré les romans nonobstant que je lis quand même un peu de tout. Vous étiez très jeune quand vous avez publié L'arbre infortuné, votre tout premier roman. Pouvez-vous nous parler de cette première expérience dans l'écriture, mais aussi dans l'édition? C'était inédit, soudain, fortuit et magique. À peine l'idée de publier un texte (qui n'était, en principe, pas destiné initialement à être rendu public) a germé dans mon esprit, tout s'est fait comme dans un brouillard enchanteur. J'avais fini d'écrire une histoire d'une traite (J'avais quelques soucis avec la fin puisqu'elle était entièrement fictive), j'avais hâte de la publier alors on m'avait conseillé la maison d'édition El-Amel, sauf que je devais le faire à compte d'auteur. J'étais quand même confiante et j'avais décidé de tenter ma chance . Comment a réagi votre famille après avoir su que vous étiez désormais écrivaine? Ayant publié L'Arbre infortuné sous le pseudonyme (Junon Lys), pour des raisons purement esthétiques et pour avoir un nom «mystérieux», cela n'a pas posé problème au début. Mais dès qu'il s'agissait de dévoiler ma vraie identité et de publier des photos de moi (La promotion du livre l'obligeait), il y a eu naturellement, une petite opposition de la part de mon père -paix à son âme-. Je m'y attendais d'ailleurs mais avec le temps, il a fini par trouver la chose non seulement normale, mais source de fierté et de reconnaissance. Il ne ratait plus un salon du livre à Boudjima depuis. Quant au reste de la famille proche, encouragements et félicitations se mêlaient toujours à leur admiration. Par la suite vous avez écrit un deuxième puis un troisième roman parus tous les deux chez Apic, parlez-nous en... Après l'édition de mon premier roman, j'avais marqué mon entrée dans le monde de la culture en général. On avait créé, sous la proposition de M. Boukherroub Smail, l'ex-maire de Boudjima, une association culturelle nommée «Lyra» et qui avait pour but initial la promotion du livre. Lors de l'une des séances d'organisation du salon du livre de Boudjima, j'ai fait la rencontre de Karim Chikh, coéditeur des éditions Apic, venu lui aussi porter sa contribution à l'évènement. C'est là que M. Boukherroub lui avait proposé la version initiale de mon deuxième roman, Aussi loin iras-tu. Pour moi, c'était un rêve qui se réalisait: quelques mois auparavant, à la librairie Cheikh, j'avais tenu dans mes mains un ouvrage édité chez Apic et j'étais fascinée par la qualité et la perfection de leur travail. J'avais secrètement souhaité que mes propres livres soient édités de cette manière et voilà que mon voeu devenait réalité. Pour Alter ego, mon troisième roman, il a été convenu que je le publie avec mon propre nom, que mon texte soit plus travaillé et mon écriture plus exigeante. Que représente l'écriture pour vous? L'écriture est une échappatoire, un moyen d'oublier une réalité parfois dure et une façon de se réaliser. Ecrire est une façon pour moi de faire partie de ce monde et d'y laisser ma trace. L'idée d'écrire en anglais ne vous a pas traversée puisque vous êtes de formation universitaire et de profession anglophones? On écrit dans la langue que l'on chérit, et j'ai toujours aimé le français. J'avoue aussi ne pas lire beaucoup en anglais car je ne m'étais pas spécialisée en littérature. J'étais formée à l'ENS de Bouzaréah à devenir enseignante et l'anglais représentait pour moi un canal de communication avec mes élèves et une langue à leur enseigner. Le français, par contre, est ma langue de prédilection, chose qui me facilite l'écriture. Est-ce qu'on peut écrire tout ce qu'on pense et tout ce qu'on ressent quand on est femme écrivaine? À mon humble avis et selon mon vécu, je crois qu'on ne le peut pas. Je ne vais pas m'étendre sur les raisons personnelles, mais il est clair que notre société, nos familles et certains de nos compatriotes ne sont pas encore prêts à entendre ou lire certaines choses et à traiter de certains sujets. Donc il est évident qu'il faut avoir non seulement l'audace de les dire, mais encore plus de les défendre de façon à les faire accepter par les autres, surtout si cela vient d'une femme. Ceci dit, je crois que chaque chose se fera en son temps. Vos romans ont-ils fait l'objet d'études à l'université? Peut-on avoir des détails? Oui, il y en a quatre à ma connaissance. Trois mémoires de fin d'études, respectivement aux universités de Tizi-Ouzou, de Jijel et de Constantine ainsi qu'un article traitant de Alter ego à l'université de Tamanrasset, disponible en ligne. Quels sont les moments qui vous donnent plus d'inspiration quand vous écrivez? Je n'ai pas de moment précis; ça vient n'importe où et n'importe quand. Ça m'arrive de vouloir prendre une feuille et un stylo dans les transports, avant de dormir, après le réveil ou même au milieu de quelque tâche. Mon inspiration est comme mes rêves; brefs mais puissants, courts, mais consistants. Quels sont les écrivains et les romans qui vous ont le plus marquée? Au stade où j'en suis, je n'ai pas de préférence particulière. Je considère toujours qu'on ne lit jamais assez à force de continuer à lire. On découvre des plumes, des thèmes nouveaux et des styles insoupçonnés. J'avais l'habitude de lire tout ce qui me tombait sous la main mais, avec le temps, je deviens plus sélective et je fais des recherches pour avoir une idée sur le livre avant de le lire. Je suis exigeante soit dans mes propres écrits soit pour lire ceux des autres. Si vous deviez n'emporter qu'un seul roman sur une île déserte, lequel serait l'objet de votre choix? Comme je n'ai pas de préférence pour un livre en particulier, ce serait sûrement un de Nietzsche. Je prendrais bien La Généalogie de la morale car c'est un livre qu'on comprend de mieux en mieux en en refaisant la lecture. À chaque lecture, on découvre une autre facette et de l'auteur et de son oeuvre, ce qui fait qu'un livre pareil pourrait m'accaparer pour assez longtemps.