Cette défaillance des cadres politiques et syndicaux est d'autant plus surprenante que le Sénégal est en pleine ébullition et qu'ils devraient logiquement pouvoir en tirer profit à l'approche du scrutin présidentiel. A un an de la présidentielle au Sénégal, les tensions sociales montent, mais les manifestations hostiles au régime du président Abdoulaye Wade, 84 ans, qui se représentera pour un 3e mandat, échappent à l'opposition et aux syndicats minés par les divisions. «Les gens sont écrasés par les soucis quotidiens et la situation sociale est débridée. Elle est hors de contrôle des partis et des syndicats qui n'ont pas de leader d'envergure, constant et désintéressé», analyse le journaliste sénégalais Moussa Paye. Partis, syndicats et société civile, «tous se défoulent sur le pouvoir par voie de presse, ce qui est une sorte d'exutoire. Les autres peuples (Tunisie et Egypte) n'ont pas les mêmes moyens d'expression que nous», ajoute M.Paye en référence à la liberté existant au Sénégal dans ce domaine. Mais en réalité, partis et syndicats, divisés par de graves querelles internes, peinent à mobiliser, et lorsqu'ils le tentent, leurs manifestations sont souvent interdites par le pouvoir. «Depuis plus d'une décennie maintenant, l'ancien syndicalisme avec lequel il faut renouer», a été remplacé «par un nouveau syndicalisme attentiste», estime le politologue sénégalais Abdou Aziz Diop qui ajoute: «Le peuple trinque». Cette défaillance des cadres politiques et syndicaux est d'autant plus surprenante que le Sénégal est en pleine ébullition et qu'ils devraient logiquement pouvoir en tirer profit à l'approche du scrutin présidentiel. La capitale Dakar et ses banlieues, peuplées d'environ 2,5 millions d'habitants, connaissent régulièrement, généralement la nuit, de violentes manifestations spontanées de jeunes contre les coupures récurrentes d'électricité. Ces coupures, qui peuvent parfois durer 8 heures d'affilée dans certains quartiers de l'agglomération dakaroise, sont dues aux difficultés de la société nationale d'électricité (Sénélec) à s'approvisionner en carburant et à entretenir un matériel souvent vétuste. Mais les manifestations, réprimées par la police à coups de bombes lacrymogènes, n'ébranlent pas pour l'instant le régime du président Wade, au pouvoir depuis 2000, candidat à un nouveau mandat à la présidentielle du 26 février 2012. «Au Sénégal, ce sont les jeunes et les associations de la société civile qui tentent de porter le flambeau des revendications sociales avec le prétexte de la dénonciation des délestages. Les partis et les syndicats, ici, ne cherchent qu'à s'accrocher aux wagons des révoltés du macadam qui cassent et brûlent tout sur leur passage», notait cette semaine l'hebdomadaire privé Nouvel Horizon. Et ce n'est apparemment pas la baisse de 8 à 15% des prix des denrées de base (riz, huile, lait, sucre et savon), annoncée par le gouvernement, qui calmera les esprits. Par cette mesure, «le pouvoir tente d'éviter à Wade le syndrome Ben Ali», titrait jeudi le quotidien privé Le Populaire après l'annonce de ces baisses de prix. Pour Mademba Sock, responsable d'un des principaux syndicats du pays, cette baisse est «encore insuffisante. Nous avions identifié 10 produits sur lesquels nous avions demandé au gouvernement de réduire la TVA», dont l'eau, l'électricité et le téléphone, qui n'est pas intervenue. En outre, des commerçants refusent d'appliquer les nouveaux prix fixés par le gouvernement. «Ce n'est pas possible. On ne peut pas baisser les prix sans tenir compte des cours mondiaux et du fret», a estimé Moustapha Tall, vice-président d'une des principales organisations de commerçants.