Dans les milieux des sphères décisionnelles où les critères de choix des hommes se fondaient souvent sur les liens de sang, de région et d'alliances multiples et diverses, feu Mohamed Nabi, alors ministre, agissait avec beaucoup de difficultés – que chacun comprendra – pour choisir ses collaborateurs sur des critères de compétences, d'engagement et de capacité dans le travail. Il considérait à juste titre que la qualité de la ressource humaine était une condition sine qua non à la réussite de toute opération. C'est ainsi qu'il fût le seul et unique ministre de la République à recruter des cadres supérieurs de la nation (directeurs centraux, sous-directeurs, directeurs généraux d'organismes, conseillers... tous nommés par décret) par voie de presse, (cf journal El Moudjahid du 1er semestre 1981). Mieux encore, il procéda lui-même à la sélection par des entretiens individuels d'une équipe venant de divers horizons et qui réalisa sous sa conduite éclairée de 1980 à 1986 le plus ambitieux des programmes qu'ait eu à connaître la formation professionnelle depuis l'indépendance de l'Algérie. Ministre, feu Mohamed Nabi arrivait quasi quotidiennement au ministère très tôt, en avance sur l'horaire du travail et où il aménagea dans la cour du ministère un petit espace convivial, pour partager avec les fonctionnaires de l'administration centrale le café payant du matin, servi proprement et avec humour par Ammi Ahmed. Ces moments empreints de simplicité et de convivialité lui permettaient de faire un point de situation rapide avec chacun d'entre nous et nous donnait l'occasion de poser quelques problèmes urgents qui trouvaient alors leurs solutions souvent séance tenante. Cette tradition participait à la cohésion d'une équipe et à l'esprit d'un combat commun pour un noble objectif. Les hommes se sentaient utiles collectivement à la société. Feu Mohamed Nabi, tout en étant proche de ses collaborateurs, avait horreur du populisme, malgré une simplicité déconcertante. C'est ainsi qu'il ne tutoyait jamais un collaborateur quel que fût son grade. Même énervé, le respect était toujours de mise. Il n'aimait pas trop les “philosophes", ceux qui parlaient beaucoup sans rien dire. Il avait le don de les détecter et leur montrer son mécontentement. Ils ne tardaient pas alors à emprunter le chemin tracé ou à quitter définitivement la table. Ceci dit, la divergence de points de vue n'empêche pas la manifestation de l'estime. Il exigeait que chaque cadre supérieur (directeurs centraux, sous-directeurs, directeurs d'organisme) présente lors de réunions qu'il présidait lui-même, tous les 15 jours, un programme individuel de travail des 15 jours à venir et un bilan d'activités des 15 jours écoulés. Il avait une mémoire phénoménale et détectait de suite les redondances, et gare aux tricheurs ma- quilleurs. Le ministère était un véritable chantier. Rien n'échappait au ministre. Ce fut un grand bâtisseur, un véritable meneur d'hommes, un vrai chef d'orchestre. Rien de surprenant de la part d'un grand homme qui a construit sa carrière en empruntant l'escalier, marche par marche, au pas de soldat. Il savait rédiger de sa main une circulaire, un arrêté, un projet de décret et même des articles de presse. Homme infatigable et d'une honnêteté légendaire et non ostentatoire, il demandait à son chauffeur Abdallah de lui préparer, le week-end venu, son véhicule personnel pour ne pas utiliser celui de fonction ; sans que beaucoup le sache jusqu'à ce jour. En 1983, alors ministre en poste, il m'est arrivé de l'apercevoir à l'aéroport d'Alger, lors d'un voyage privé attendant son tour devant le bureau de l'agent de police des frontières. Une fois accomplies les formalités, je le saluais et lui faisais part de mon étonnement de le voir parmi nous, alors qu'il pouvait être pris en charge au niveau du salon d'honneur en tant que membre du gouvernement. Il sourit et me dit : Je vais vous dire quelque chose et ne l'oubliez jamais : A vrai dire je pense au jour où je ne serai plus ministre, il faudra alors bien passer par là, autant emprunter ce chemin maintenant évitant ainsi toute frustration par la suite. Leçon de maître. Mais que peut engendrer la conjugaison de la compétence et de la modestie sinon l'humilité et la sagesse. Je termine ce modeste hommage à feu Mohamed Nabi pour affirmer qu'il était un homme de parole. Je me souviens que n'ayant pas pu faire aboutir à temps la publication des décrets de nomination de certains cadres supérieurs qui ont rejoint l'administration centrale à partir du secteur public – donc non fonctionnaires – le ministère ne pouvait leur verser leurs salaires sur le budget de l'Etat (année1983). J'ai assisté personnellement aux paiements de salaire de deux hauts fonctionnaires à partir de son compte personnel en pertes et profits sans aucun remboursement ; il accompagna son geste de remise de chèque par ces paroles : “Je vous ai promis d'être payés, vous l'êtes." Nous perdons aujourd'hui un homme de valeur, un militant et une personnalité hors du commun. Belkacem MAHBOUB