Un rapport rendu public par le Défenseur des droits accuse les organismes de retraite d'excès dans la vérification de l'authenticité des informations présentées par les retraités. L'exemple de Karim est éloquent. Ce vieil homme qui avait pour habitude de percevoir sa pension de retraite française depuis l'Algérie a vu les versements s'interrompre en 2012, à la suite de la présentation d'un certificat d'existence, jugé douteux par sa caisse de retraite. Son fils qu'il a désigné comme tuteur afin de le suppléer dans les démarches administratives, a transmis à l'organisme de retraite un nouveau certificat qui a été à son tour refusé. Même après avoir saisi le Défenseur des droits (chef d'une institution indépendante veillant au respect des droits et des libertés, dirigée par l'ancien ministre de la Culture Jacques Toubon), la famille n'a pas pu faire changer la situation. Il a fallu que Karim, gravement malade, se déplace dans les locaux de sa caisse et certifie en personne, de son existence, pour que le versement de ses prestations soit débloqué. Loin d'être unique, la mésaventure de Karim a été vécue par de nombreux autres pensionnés. Elle traduit la méfiance des organismes de retraite a l'égard de leurs allocataires établis à l'étranger, surtout lorsqu'ils sont de nationalité non française. Il y a quelques mois, des retraités du régime français vivant en Algérie ont été convoqués dans les consulats de France afin de prouver physiquement qu'ils sont encore vivants. Ce déplacement leur a été imposé car les certificats de vie qu'ils ont envoyés à leur caisse n'ont pas été jugés authentiques. Sur quelle base ? Personne ne le sait. Dans un rapport qu'il vient de rendre public sur les dérives dans la lutte contre la fraude aux prestations sociales, le Défenseur des droits accuse d'ailleurs l'administration de prendre des décisions discrétionnaires et discriminatoires. "Plusieurs dossiers ont mis en évidence que certains agents de contrôle s'obstinaient à rejeter arbitrairement les seules pièces utiles à l'ouverture ou au maintien du droit à prestation", révèle l'institution de Jacques Toubon. Il faut savoir que le certificat d'existence exigé aux pensionnés du régime français établis hors de l'Hexagone a été institué en 2011 à la suite d'une grosse polémique suscitée par un rapport, lui-même controversé, de la Cour des comptes de ce pays. Celui-ci mettait en exergue le recensement dans la base de données de la Cnav (Caisse nationale d'assurance vieillesse) de retraités algériens centenaires (539, sur 440 000 pensionnés). Ce chiffre laissait entendre que des décès n'ont pas été déclarés et que de fait, les descendants des pensionnés concernés continuaient à percevoir indûment de l'argent de l'Etat français. Or après vérification, huit cas de fraude seulement ont été recensés par la Cnav. Mais, cela n'a pas empêché la polémique de se poursuivre, alimentée par des sites d'extrême droite. De son côté, l'Etat a, pour renforcer le contrôle sur ses pensionnés à l'étranger, généralisé le recours au certificat d'existence. Ces attestations peuvent être réclamées plusieurs fois par an et par plusieurs organismes de retraite à la fois, si le pensionné en est allocataire. Interpellés par ces aberrations, des parlementaires ont demandé aux autorités d'abroger le certificat de vie ou de simplifier les démarches le concernant. En guise de réponse, l'Etat s'est engagé a renoncer à demander le document aux retraités établis dans des pays avec lesquels un échange dématérialisé d'informations d'état civil sur les décès pourra être mis en place. Ce dispositif a déjà été expérimenté avec l'Allemagne. Des pensionnés vivant dans d'autres Etats d'Europe (Belgique, Luxembourg, Pays-Bas, Espagne, Italie et Portugal) seront également concernés. Hors du continent, les choses semblent encore compliquées. Outre les Algériens, les retraités français vivant dans des pays non européens sont victimes des abus de leur administration. Le rapport de l'institution de Jacques Toubon cite le cas de René, mort avant que sa situation ne soit régularisée. La caisse lui a finalement versé à titre rétroactif, 49 872 euros dont il n'a pas pu bénéficier. "À travers l'instruction de plusieurs réclamations, le Défenseur des droits a pu observer que les enquêtes prenaient parfois plusieurs années, entraînant la suspension brutale du versement des prestations et plaçant les usagers, notamment âgés et vulnérables, dans des situations de grande précarité", constate encore le rapport du Défenseur des droits. Outre les organismes de retraite, le blâme vise aussi l'assurance maladie et les caisses d'allocations familiales. S. L.-K.