Témoins de ces scènes surréalistes, inédites dans les annales de la justice, des greffières pleuraient et des citoyens criaient leur désapprobation. La cour de justice d'Oran a été, hier matin, le théâtre de violences perpétrées par les forces antiémeutes de la Gendarmerie nationale à l'encontre des magistrats grévistes. Hommes et femmes ont été malmenés sans ménagement par les hommes en vert pour permettre l'ouverture de la session criminelle. "Aujourd'hui, l'honneur du magistrat a été foulé aux pieds par Belkacem Zeghmati", s'est lamentée une magistrate en pleurs. Images hallucinantes qui ont fait le tour des réseaux sociaux : dans la salle des pas perdus, des gendarmes antiémeutes marchant en rangs serrés pour repousser sans ménagement les magistrats grévistes et leur interdire l'accès à la salle d'audience du tribunal criminel de première audience où devait se dérouler l'inauguration de la session criminelle. Sous la violence de la charge des gendarmes, des magistrats se sont réfugiés dans le bâtonnat, d'autres ont couru vers l'escalier menant aux étages supérieurs et d'autres encore ont réussi à gagner l'extérieur. Selon les magistrats, sept de leurs confrères et consœurs ont été blessés, dont une femme qui a été évacuée par la Protection civile pour suspicion de fracture au bras gauche. "Ce qui se passe aujourd'hui est une honte. C'est une honte pour le procureur général qui a réquisitionné la force publique et pour le ministre de la Justice qui a autorisé cette ignominie", se sont insurgés les magistrats, qui avaient du mal à croire ce qui venait de se produire. Témoins de ces scènes surréalistes, inédites dans les annales de la justice, des greffières pleuraient et des citoyens criaient leur désapprobation. Après avoir évacué l'espace attenant à la salle d'audience, les gendarmes ont dressé une haie pour empêcher les grévistes de perturber la cérémonie d'ouverture de la session judiciaire, que le président de la cour et le procureur général ont expédiée en renvoyant les affaires inscrites au rôle. "C'est un jour funeste pour la justice algérienne. Des forces antiémeutes sont entrées dans une salle d'audience pour en chasser les magistrats", s'est difficilement exprimée une magistrate, les yeux rougis. Mis au courant des graves événements qui se déroulaient à la cour d'Oran, des magistrats se sont empressés de venir depuis plusieurs wilayas de l'Ouest et des avocats ont rejoint le palais de justice pour exprimer leur solidarité aux magistrats. "Nous sommes venus d'Aïn Témouchent pour soutenir nos collègues. L'ère de l'arbitraire est révolue", s'est élevée une jeune magistrate de la cour d'Aïn Témouchent, en s'inquiétant de la répression qui s'est abattue sur ses confrères : "Demain (aujourd'hui, ndlr), notre cour va vouloir installer les nouveaux magistrats et il est fort à craindre que ces dépassements se reproduisent." Ebranlés, mais déterminés à poursuivre leur mouvement, les magistrats grévistes ont, à plusieurs reprises, scandé des slogans appelant à l'indépendance de la justice, à la séparation des pouvoirs et en exigeant la démission du ministre de la Justice et du procureur général d'Oran, coupables, selon eux, d'un grave précédent judiciaire. "Rien ne pourra effacer ce qui s'est passé aujourd'hui. Et il se pourrait même que je démissionne", a déclaré avec amertume un magistrat ayant 22 ans de métier. Vers 16h30, alors que les gendarmes antiémeutes avaient quitté le hall de la cour, les magistrats se sont enfermés dans une salle d'audience pour une réunion à huis clos. "Nous avons établi notre rapport que nous devons transmettre au SNM. Mais ce qui est sûr, c'est qu'il y aura des suites", nous ont affirmé les grévistes. En tout état de cause, il ne fait aucun doute que pour la justice algérienne il y aura un avant et un après 3 novembre 2019.