Les médias sociaux échappent presque totalement au contrôle de l'Etat, qui ne peut que réduire le débit de connexion, les jours des marches hebdomadaires ou d'événements importants. Les Oranais ont marché, avant-hier, en masse avec les étudiants. L'événement aurait pu ne pas exister en conséquence de la répression des manifestations anti-élection dans cette ville de l'Ouest, jeudi et vendredi derniers. La diffusion de vidéos et d'images de la violence des forces antiémeutes contre de citoyens pacifiques, sans distinction entre hommes, femmes, personnes âgées et enfants (matraques, gaz lacrymogènes, interpellations musclées), dans les réseaux sociaux, a produit une onde de choc chez l'opinion publique. Il s'en est suivi une solidarité particulière envers les Oranais, mais aussi chez les compatriotes des wilayas d'Aïn Témouchent, de Bouira et d'Annaba, autres victimes des exactions policières. Ce qui a incité la DGSN (Direction générale de la Sûreté nationale) à rendre public un communiqué dans lequel elle nie les faits reprochés au corps. Elle a adopté une attitude défensive pareille lorsque des policiers ont été accusés d'avoir dénudé des militantes de RAJ dans un commissariat à Baraki et d'avoir roué de coups, l'été dernier, un manifestant à terre à proximité de la Grande-Poste. En remontant le temps d'une vingtaine d'années, les services de sécurité n'auraient eu nul besoin de se justifier car ils auraient commis des actes condamnables, à huis clos, sans des preuves compromettantes par le son et l'image, comme ce fut le cas en Kabylie, durant le printemps 2001, et à Alger en octobre 1988. Dans cet exemple édifiant s'illustre une réalité implacable : en Algérie, la révolution du sourire puise son essence dans la technologie 2.0. C'est par le truchement des réseaux sociaux que les Algériens s'informent, lancent des alertes, font des appels à des manifestations, commentent l'actualité, déjouent les combines du régime et de ses relais et dénoncent leurs abus. Avec 21 millions d'utilisateurs de Facebook, 10 millions pour Twitter et 8 à 9 millions pour YouTube, Instagram, WhatsApp et autres, les réseaux sociaux constituent un canal ouvert à travers lequel près de 38 millions d'Algériens communiquent, selon des chiffres fournis par l'ARPCE (Autorité de régulation de la poste, des communications électroniques) en 2018. Ils échappent presque totalement au contrôle de l'Etat qui ne peut que réduire, les jours des marches hebdomadaires, le débit de connexion, contraignant ainsi les manifestants à limiter le recours aux lives. Ils se sont ainsi totalement substitués aux médias traditionnels, principalement audiovisuels. D'autant que ces derniers, devenus des vecteurs des discours officiels et de la propagande pro-régime, ne soufflent mot sur le hirak et occultent le débat contradictoire. Dès qu'ils ont pris conscience de l'énorme influence des réseaux sociaux dans l'organisation de l'insurrection populaire, les pouvoirs publics ont œuvré à les utiliser dans un plan de contre-révolution. La mission de casser la dynamique du mouvement est confiée aux mouches électroniques ou "dhoubab" déclinés sous de vrais profils autant que des faux comptes. Elles s'échinent à polluer l'espace virtuel par des fake-news, des manœuvres de division en jouant sur la fibre idéologique, ethnique ou régionaliste, à distiller des posts racistes et violents, et… à s'attaquer aux opposants et aux activistes. Les pages, comptabilisant un nombre important de followers, sont systématiquement signalées aux administrateurs de Facebook, qui n'hésitent pas à les bloquer. Les hirakistes ripostent par des mises en garde et par des incitations à préserver le caractère pacifique du mouvement. Le réseau sert, en outre, à informer sur les arrestations, à mobiliser pour la libération des détenus d'opinion et politiques et à suggérer des slogans.