Les 20 pays les plus importants se retrouvent à Londres le 2 avril. Le sommet s'annonce aussi difficile qu'il s'avérera décevant. Comment sortir de la crise actuelle ? Dans toutes les capitales, dans tous les palais présidentiels, dans tous les sièges des grandes entreprises, cette même question résonne à l'infini. Si personne ne connaît ni l'ampleur ni la durée de cette crise, tout le monde en redoute les conséquences à long terme. Certains rares optimistes espèrent, de même que l'aube chasse la nuit, une nouvelle croissance miraculeuse qui fera bientôt fuir la récession. Mais la plupart des experts craignent que la nuit ne soit très, très longue. Dans l'urgence du choc d'octobre 2008, une seule solution d'attente s'est imposée : les Etats ont plongé dans leur caisse pour financer des secteurs privés surendettés. Mais seuls les Etats-Unis et la Chine ont mis en place des plans de relance puissants en terme de pourcentage de leur PIB. Ils représentent 5% du PIB aux Etats-Unis et environ 2% du PIB chinois par an sur 3 ans. L'Europe, l'Allemagne en tête, reste beaucoup plus frileuse. Si les plans américains et chinois fonctionnent, l'économie de ces deux pays, déjà fortement co-dépendants, redémarrera plus rapidement. Le dollar et le yuan se renforceront face à l'euro. Ce qui fait craindre à certains l'émergence demain d'un condominium sino-américain dominant l'économie planétaire. Des pays développés insolvables ? Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Pour l'instant, c'est toute la planète qui souffre. Le quatrième trimestre de l'année 2008 enregistra un recul sévère : -7% pour l'ensemble des pays avancés, -6% pour les Etats-Unis et la zone euro et -13% pour le Japon ! En 2009, ce sont les pays avancés qui souffrent le plus avec un recul évalué entre -3% et -3,5% : -2,6% pour les Etats-Unis, -3,2% pour la zone euro et -5,8% pour le Japon. Seuls les pays émergents et en développement garderont un peu la tête hors de l'eau avec une poursuite de la croissance comprise entre 1,5% et 2,5%. Le taux de croissance espéré pour 2010 serait de 1,5% à 2,5% pour le monde entier, c'est-à-dire de 0% à 0,5% pour les économies avancées ( 0,2% pour les Etats-Unis, 0,1% pour la zone euro et -0,2% pour le Japon) et de 3,5% à 4,5% pour les pays émergents et en développement. Seulement et seulement si les plans de relance basés sur des déficits budgétaires importants fonctionnent ! L'effort des Etats est réel. Selon le FMI, les déficits budgétaires primaires devraient être très importants. Cela est particulièrement vrai cette année pour les principaux pays avancés : aux Etats-Unis, on prévoit un déficit de 9,9% du PIB ; au Japon et au Royaume-Uni, les prévisions sont de 5,6%, et en Espagne de 4,9%. Les déficits français et allemands sont beaucoup plus réduits, puisqu'ils devraient être respectivement de 3,6% et 1,1%. Toujours selon le même organisme, en 2012, le ratio de la dette publique brut par rapport au PIB pourrait être de 117% en Italie, 97% aux Etats-Unis, 80% en France, 79% en Allemagne et 75% au Royaume-Uni. Au Japon, qui ne s'est toujours pas remis d'une énorme bulle bancaire antérieure, le ratio pourrait atteindre 224%. Ce qui fait redouter que les Etats ne connaissent le même sort que les banques qu'elles sont en train de sauver : l'insolvabilité et la faillite. Certains gouvernements, comme ceux de France et d'Allemagne, hésitent de ce fait à mettre la main à la poche, rigueur budgétaire oblige. Mais cette posture vertueuse ne fait qu'aggraver la crise et éloigner toute reprise éventuelle. « Cela reviendrait à se suicider pour cesser de redouter la mort », note ironiquement Martin Wolf, éditorialiste du Financial Times. Les très gros efforts budgétaires consentis par les autres Etats développés porteront-ils leurs fruits ? On peut en douter, à lire les remarques inquiétantes des experts du FMI qui notent tout d'abord que l'assainissement du secteur financier est loin d'être réalisé : les banques, assurances et autres fonds de pensions sont loin de s'être débarrassés de leurs actifs toxiques, à compter même qu'ils puissent sérieusement les identifier. Leur sous-capitalisation est patente. Autre motif d'inquiétude : outre l'assainissement du secteur financier, il faut également soutenir activement la demande. Ce seul poste de demande est estimé par le FMI à des efforts impératifs des Etats qui coûteront en moyenne 2% du PIB des pays développés. Or, les «mesures discrétionnaires» pour stimuler la demande ne dépasseront pas 1,8% en 2009 et 1,3% en 2010 pour l'ensemble du PIB du G20 : 2% et 1,8% pour les Etats-Unis, 1% et 0,8% pour la zone euro, 1,4% et 0,4% pour le Japon. Seule la Chine injectera 3,2% en 2009 et 2,7% en 2010. «Trop peu et pas assez vite !» « Des sommes insuffisantes et versées tardivement », semble le commentaire du FMI sur les efforts budgétaires des Etats. Il faudra rapidement remettre de l'argent, beaucoup d'argent dans la machine pour qu'elle redémarre. Au grand dam de certaines banques centrales, dont la Banque centrale européenne qui ne combat que deux diables absolus, l'inflation, quasi nulle aujourd'hui, et les déficits budgétaires. Ce dernier combat n'est plus de mise. « Nous gardons notre indépendance ! », rétorquent les banquiers de Francfort (siège de la BCE). Indépendance, indépendance... Elle devient très relative, note l'économiste Michel Aglietta : les Banques centrales sont contraintes de pratiquer des taux d'intérêt proches du zéro pour refinancer le système financier international et leurs décisions sont strictement limitées aux efforts budgétaires des Etats pour limiter la récession. Encore un dogme économique des vingt dernières années qui se lézarde. Autre concept qui a pris un grand coup dans le nez : la globalisation hyper-libéralisée. A système global, crise globale. C'est la suppression de toutes les barrières réglementaires, c'est la circulation quasi instantanée de produits financiers virtuels, c'est l'intrication toujours croissante des économies qui rendent difficile une sortie de crise, qui ne pourra être que de dimension internationale. Mais la crise ne favorise justement pas cette « gouvernance mondiale » que certains appellent de leurs voeux. Les Etats, bien au contraire, sont revenus à des conceptions plus égoïstes. Chacun pour soi et Dieu pour tous ! On le constate au sein même de l'Union européenne, où les pays les plus riches hésitent à sauver les économies de l'Est européen (Hongrie, Pologne, Pays baltes...), littéralement laminés par la crise actuelle, qui crée dans cette partie de l'UE des conséquences similaires à la crise des paiements qu'a connue l'Asie du Sud-Est en 1997. La « renationalisation » des politiques économiques aura des effets durables sur les pays en développement. Pour les pays pauvres, notamment en Afrique, où la croissance est passée de 6,1% en 2007 à moins de 3%, le décollage économique est arrêté, et le cycle infernal de la baisse du revenu par habitant, de la hausse de la misère et de la mortalité est de retour. Pire. Les investissements directs dans les pays émergents, qui s'élevaient à 928 milliards de dollars (714 milliards d'euros) en 2007, seront réduits à 165 milliards en 2009 ; l'aide au développement est en voie de disparition avec un déficit de plus de 200 milliards de dollars par rapport aux engagements. Des projets de coopération internationale, telle l'Union pour la Méditerranée, qui péchait déjà par le manque d'objectifs chiffrés, vont être mis au frigidaire pour une longue période, alors que de vrais accords régionaux sont la meilleure dimension pour cette sortie de crise tant recherchée. Au regard de ce triste état des lieux, on ne peut qu'être sceptique quant à l'issue du sommet, le 2 avril, des 20 pays les plus riches. Nous aurons certainement le droit à de fortes déclarations d'intention, des appels aux sacrifices du petit peuple, des perspectives souriantes mais à long terme. Mais enfin, on peut toujours espérer des mesures plus concrètes et équitablement partagées... Japon : ivresse de la crise... S'il y en a un qui ne figurera pas sur la photo finale du G20 où tous les grands de ce monde, en rang d'oignons, se congratuleront en souriant du succès de leurs travaux, c'est Shoichi Nagakawa. Nagakawa ! C'était le ministre des Finances japonais qui s'était pointé ivre mort à la dernière réunion du G7 en février à Rome. Emotion. Le bureaucrate nippon, bien connu dans son pays pour son penchant vers les alcools forts, a dû, devant le scandale, démissionner de ses fonctions gouvernementales. Mais quoi ! Devant une telle crise, un ministre des Finances ébranlé a bien droit à quelques réconforts... D'autant que, depuis la fin des années 80, le Japon ne connaît que cela. La seconde économie mondiale a en effet traversé, avant son tour, une récession à l'identique mais à l'échelle locale de la crise actuelle : effondrement du système bancaire à la suite de spéculations hasardeuses, repli de l'activité, plans de relance trop prudents pour être efficaces. Mais les capacités de l'économie japonaise lui ont permis de placer massivement ses exportation high-tech et ses automobiles... Il n'empêche, le Japon ne s'est jamais complètement remis de cette première crise. Le choc d'octobre 2008 fut donc particulièrement rude : - 12,8% du PIB au dernier trimestre 2008. «Ceci est la pire crise depuis la fin de la guerre. Il n'y a aucun doute à ce sujet», a affirmé le ministre de la Politique économique et budgétaire, Kaoru Yosano, jugeant que l'économie nippone «a été littéralement ravagée» par la tourmente mondiale. Quelques chiffres édifiants. Lors du dernier trimestre 2008, les investissements des entreprises ont diminué de 5,3%, leur plus fort repli en sept ans. La consommation des ménages a pour sa part reculé de 0,4% par rapport au troisième trimestre. L'explosion des déficits et de la dette publique, qui augmentera jusqu'à représenter 80% à 100% du produit intérieur brut (PIB) des grands pays développés, avoisinera les 200% pour le Japon. Le gouvernement japonais a annoncé, depuis l'automne, deux plans de relance d'un montant total de 415 milliards d'euros, et en prépare actuellement un troisième d'environ 153 milliards supplémentaires. L'entrée en vigueur de ces mesures est cependant retardée par la situation politique compliquée au Japon, où le gouvernement ne contrôle qu'une seule des deux chambres du Parlement. Autre élément de difficulté politique, l'impopularité du Premier ministre actuel : la cote de popularité de Taro Aso a chuté pour la première fois sous la barre des 10%, relançant les rumeurs sur son remplacement ou sur des élections anticipées. Complexité dans la difficulté, l'archaïsme du système politique japonais. Le Parti libéral démocrate (PLD) n'a quasiment jamais lâché le pouvoir depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Verrouillant tout le système, cette formation de notables a verrouillé la vie politique, interdisant toute opposition. Seuls évènements : la longue suite de scandales affectant des responsables du PLD et se concluant régulièrement par des démissions de responsables, voire, tradition nationale oblige, des suicides. Mais la crise est passée par là. Un nouvel opposant, Ichiro Ozawa, s'impose sur la scène : lors d'un sondage du mois dernier, 16,3% des personnes interrogées jugeaient M. Aso capable de diriger le gouvernement, contre 40,6% en faveur d'Ichiro Ozawa, chef du Parti démocrate du Japon (PDJ, centre). Manque de chance ! Une opportune enquête policière a pu démontrer que l'un des assistants d'Ozawa avait touché un pot-de-vin d'un entrepreneur du BTP. Du coup, la cote de l'opposant s'effondre dans une opinion publique trop lasse de la répétition des scandales. «On est là pour nous aider !» L'inénarrable banque française La Société Générale (et son inoubliable slogan « On est là pour vous aider ! ») refait à nouveau parler d'elle. Malgré des pertes abyssales, malgré l'injection de fonds publics, son PDG, Daniel Bouton, et trois de ses adjoints avaient décidé de s'attribuer de grandes lampées de stock-options (des centaines de milliers d'actions de leur boîte, achetées aujourd'hui au plus bas et qui vaudront des fortunes plus tard). Aide-toi et la crise t'aidera ! Mais même Sarkozy a trouvé que cela faisait trop bling-bling. Adieu les stocks. Jusqu'à la prochaine fois !