A Oran, les comédiens du Théâtre régional de Constantine (TRC) étaient visiblement ravis de l'accueil fait à leur dernière production Laïlatou El Layali, texte de Boujadi Allaoua et mise en scène par Tayeb Dehimi. En effet, le public présent a fortement applaudi la belle prestation des interprètes donnée en offrande aux spectateurs de la salle Abdelkader Alloula. L'œuvre, déclinée en lecture philosophique, est un long et périlleux retour sur soi, l'autobiographie des deux premiers intervenants dans la cristallisation du produit culturel, l'auteur et le réalisateur, n'est pas loin nous, semble-t-il, et les clins d'œil aux itinéraires professionnels des deux hommes ne sont pas gratuits dans cette œuvre théâtrale qui allie de bout en bout cinéma et théâtre. En d'autres termes, Laïlatou El Layali est un long et nutritif chapelet de poésie déclamée avec ici et là des mises au point d'un réalisateur, en l'occurrence Tayeb, qui rappelle, sans prendre de gant, les misères faites à nos acteurs qui tentent de se faire un nom à la télévision, chez les patrons de l'image, les barons des mises en images, les distributeurs de célébrités erronées. Baignée dans une scénographie délirante parce qu'acquise à l'esprit d'un collectif qui a manifestement des comptes à régler avec tous les fossoyeurs de talent, la pièce du TRC se donne également le temps d'insister sur le langage de la parabole mis en branle ces dernières années par le théâtre algérien pour dire peut-être combien est difficile la possibilité de se réaliser sainement dans un environnement peu enclin à écouter les cœurs, peu disposé à s'inscrire dans le beau. A ce niveau, le talentueux Yahya Ben Amar s'en donne à cœur joie pour laisser parler sa sensibilité de créateur. Le concepteur de musique, Mohamed Amireche, ne se fait pas prier pour adhérer à la re-création de la tourmente qui résilie les contrats d'amour, fait table rase des promesses, renie ses engagements. Les questions que soulèvent les personnages de la pièce donnée ce vendredi à Oran tournent presque toutes autour du pourquoi des trahisons diverses et autres petitesses qui traversent l'être humain dans son court parcours sur terre. Les personnages se mutilent dans leur solitude, se morfondent dans leur égoïsme, accusent et s'auto-accusent pour alléger leur conscience, se réfugient dans leurs souvenirs pour essayer de se trouver des repères enfouis dans leur vécu, une justification à leur interrogation, à leur échec. L'échafaudage scénique projeté par l'enfant terrible de Sidi Bel Abbès, principalement matérialisé par les longs rideaux à gris rouge prononcés qui couvrent la scène en horizontal et vertical, participe lui aussi à toutes ces lectures de ruptures et de blessures que l'on consomme vaincu au fil des jours comme on consomme une fatalité. Laïlatou El Layali, c'est aussi deux écritures superposées, deux passeurs de sensibilités qui se veulent parallèles mais qui se confondent pour exprimer par endroit un unique besoin, un seul cri pour dire ce qu'on a sur le cœur, pour indiquer par le cœur et les tripes ses griefs à l'encontre d'une société noyée de non-dits hypocrites et de dits dévoyés. Avec rage et véhémence. Tempérons cependant notre ardeur pour affirmer qu'il aurait été peut-être plus judicieux de ne pas trop faire intervenir cette sorte de scripte ou régisseur d'un plateau de tournage de films dans le déroulement de l'histoire pathétique de ce trio de personnages esseulés (El Bahia dans le rôle de l'épouse éplorée, Noui dans celui de l'époux incompris, et Abdou dans celui du confident des deux êtres qui souffrent, Abdou l'autre partie du couple, leur face cachée, leur double face). Cette façon de faire un peu trop répétitive à notre avis contrarie le rythme de départ imprimé à la pièce et rafraîchit l'intérêt porté par le spectateur à cette histoire de couple qui nous ressemble dans notre quotidienneté et les avatars liés à nos existences cachées, honteuses, non avouées. Plus impliquée dans sens tragique guidant les personnages que des coupures d'inspiration «brechtiennes» qui interviennent un peu trop souvent dans le temps dramatique du contenu de l'œuvre, cette pièce découpée en huit tableaux peut énormément gagner en rythme et en concentration, d'autant que la mise en scène a su dès le départ miser sur les versants graves et loufoques du spectacle, sérieux et facétieux, tout cela dans une atmosphère au style comédie-ballet détaché, d'un humour grinçant, irrévérencieux, beau à écouter et à partager. Le recours aux scènes liées au plateau de tournage peut être espacé et surtout écourté, ça ne nuira aucunement au sens et surtout à la transmission de l'émotion, et de l'émotion il y en a à revendre chez ces comédiens généreux qui ont su gagner haut la main la sympathie du public oranais. Il suffit de peu, et Tayeb Dehimi en a les moyens et du discernement. Avant d'être metteur en scène, il est comédien. Cette double casquette est plus un atout qu'un handicap. N'est-ce pas monsieur le concepteur inspiré de Def El goul Oua El bendir ?