L'inscription de la dépénalisation de l'acte de gestion au menu de la dernière tripartite donne la mesure de la difficulté qu'éprouvent les plus hautes autorités du pays à mettre fin à cette anomalie juridique que réclament depuis plusieurs dizaines d'années les dirigeants d'entreprises régies par le code du commerce. Plusieurs résolutions avaient pourtant été prises au niveau des plus importantes instances de direction de l'Etat (instruction écrite du président de la République et Conseil des ministres en 2011, promesse de mise en œuvre rapide par les Premiers ministres Ouyahia (2011) et Sellal en 2014, résolution des tripartites (de 2013 et 2014) sans jamais avoir été suivies d'effet. La déclaration du secrétaire général de l'UGTA à l'issue de la tripartite du 18 septembre 2014 est en effet riche d'enseignements sur la difficulté à mettre en œuvre cette dépénalisation sur laquelle il y a pourtant un large consensus politique et social, tant les enjeux qu'elle comporte sont importants et les acteurs concernés par cette réforme nombreux et, pas toujours, d'accord sur les décisions à prendre et le sens à donner aux changements systémiques qui vont en résulter. Il faut en effet reconnaître que le problème de la dépénalisation de l'acte de gestion n'est pas simple à appréhender, notamment quand il concerne les entreprises publiques économiques où la vigilance contre d'éventuelles prédations doit être constamment de mise pour un certain nombre de raisons qu'il serait dangereux d'occulter. La première, et sans doute la plus importante d'entre elles, a trait à la compétence managériale discutable d'un grand nombre de dirigeants, placés comme on le sait à la tête d'entreprises publiques, non pas parce qu'ils disposent des références nécessaires, mais tout simplement parce qu'ils ont les faveurs des autorités qui disposent du pouvoir de nommer et révoquer au gré des circonstances. Il est vrai que quelques appels publics à candidature avaient été épisodiquement lancés pour mettre fin à ce très préjudiciable mode de désignation de cadres dirigeants, mais ils ont vite tourné court, en raison des fortes pressions exercées par les tutelles administratives qui auraient même tendance à subir l'influence de richissimes hommes d'affaires algériens. La nomination et la révocation des patrons d'entreprises publiques qui relevait du seul pouvoir de l'Etat est aujourd'hui beaucoup plus permissive avec, notamment, l'intrusion du pouvoir de l'argent et celui de certains partis politiques. Il est bien évident qu'avec un tel mode de désignation clientéliste et hasardeux de gestionnaires, les capitaux des entreprises publiques ne sont pas du tout en sécurité et l'on pourrait de ce fait légitimement penser que la pénalisation de l'acte de gestion peut dans pareilles conditions constituer un rempart contre les risques de malversations émanant de ces sphères d'influence. Compte tenu de cette triste réalité, la bonne réponse à cette demande consensuelle de dépénalisation ne devrait pas consister à répondre favorablement et sur le champ aux pressions, mais à trouver la solution idoine qui permettra, tout en accordant l'autonomie de gestion aux entrepreneurs, de mettre à l'abri des tentations malsaines les capitaux des entreprises et, notamment, ceux qui appartiennent à la collectivité. Il n'est, par ailleurs, pas facile de prendre la responsabilité de dépénaliser l'acte de gestion pour s'en remettre, comme le stipule le Code du commerce, aux seuls organes d'administration et de gestion des entreprises publiques ayant le statut de sociétés par actions (assemblée générale, conseil d'administration, commissaires aux comptes). Il est en effet de notoriété publique que ces instances ne fonctionnent pas comme il se doit en raison, là aussi, du mode de désignation clientéliste et hasardeux des administrateurs et des commissaires aux comptes, généralement soumis à l'autorité des présidents directeurs généraux des entreprises et, bien entendu, aux tutelles (SGP, ministères) qui les ont cooptés à ces postes. Confier le sort des entreprises à ces seuls acteurs reviendrait à donner libre cours aux pires malversations, comme nous avions eu à le constater dans les années de relâchement du contrôle externe qui avait, on s'en souvient, contraint le gouvernement à autoriser la Cour des comptes et l'inspection générale des finances à mettre le nez dans les comptes des entreprises publiques économiques. Ce sont toutes ces raisons objectives qui retardent l'avènement de l'autonomie des entreprises publiques qui doit réellement prendre effet avec l'adhésion pleine et entière de ces sociétés au Code du commerce, en lieu et place du code pénal qui tétanise des gestionnaires dont l'action quotidienne est précisément basée sur la prise de risques. Un long et fastidieux travail attend les juristes qui doivent pour ce faire reformuler clairement certaines dispositions du code civil, du code pénal et du code commerce pour les mettre en conformité avec un mode de gestion apte à libérer l'esprit d'initiative des managers, tout en garantissant la sécurité patrimoniale des entreprises qu'ils dirigent.