Eclipsé depuis son départ du gouvernement en 2012, Abdelhamid Temmar, successivement et 13 ans durant ministre chargé des Participations et de la Coordination des réformes, du Commerce, de l'Investissement, puis de l'Industrie, de la Promotion des investissements et de la Prospective, est revenu ces derniers jours pour commenter l'actualité économique nationale. D'abord à partir Alger, à l'Institut national d'études de stratégies globales (Inesg), ensuite à Bouira lors d'une conférence organisée par l'université Akli Mohand Oulhadj sous le thème «Le contre-choc pétrolier, les enjeux stratégiques». L'ancien ministre, arrivé dans la bagages du président Abdelaziz Bouteflika en 1999, multiplie les sorties médiatiques et nous assène aujourd'hui d'un ton serein, comme s'il découvrait le fil à couper le beurre, qu'«on n'a pas d'économie», «on vit exclusivement du pétrole» et «c'est l'Etat qui dépense l'argent pour nous nourrir». Sortie de la bouche d'un autre économiste, cette réalité que le commun des Algériens connaît n'aurait suscité aucun commentaire ni même une curiosité, mais lâché par Abdelhamid Temmar, un des spin doctors en matière économique de la présidence de la République douze ans durant, devant un parterre d'universitaires, appelle des interrogations. En fait, qu'est-ce qui fait courir Temmar ? Veut-il se redonner une virginité, lui qui a été le concepteur de la stratégie industrielle et l'instigateur de la campagne de privatisation de milliers d'entreprises publiques dont on ne connaît à ce jour ni les bilans ni le montant de l'opération et encore moins les noms des heureux bénéficiaires ? L'opération s'était déroulée dans le flou le plus total, au point que beaucoup d'observateurs se sont dits qu'elle aurait bénéficié à ceux qui ont été proches du régime. Des «amis» à qui on a offert des entreprises entières, souvent avec des équipements renouvelés, pour des sommes dérisoires. Du moins inférieures à la valeur réelle de ces entités économiques publiques. Les pouvoirs publics eux-mêmes reconnaissaient qu'elle n'avait pas apporté grand-chose au Trésor public. A travers cette opération de privatisation, faite dans la plus grande discrétion malgré l'insistance et les demandes de la presse, Abdelhamid Temmar a tout simplement signé l'acte de naissance d'une bonne partie de l'oligarchie algérienne. En 2005, lors d'une conférence presse animée à Paris, au siège du Medef, le ministre Temmar annonçait la privatisation de 200 entreprises en 6 mois seulement. Le processus, qui avait commencé en 2003, concernait en fait 1230 entreprises. Et parmi elles figuraient le complexe sidérurgique d'El Hadjar, cédé en majorité à ArcelorMittal. La cession d'El Hadjar était considérée, à l'époque, comme un modèle de réussite avant de devenir un exemple d'échec et de déroute économique. Temmar s'en défend, bien évidemment. Ce n'est pas lui, «c'est l'Etat qui a privatisé». Et les autres entreprises ? Qui les a liquidées dans l'opacité ? Le flou était tel que l'Inspection générale des finances (IGF) avait, à la demande du chef de gouvernement de l'époque, ouvert une enquête sur les conditions dans lesquelles les entreprises publiques ont été cédées à des opérateurs et hommes d'affaires. Les arguments insoutenables d'un ministre au cœur de toutes les politiques C'était en mars 2008, quand le Conseil des ministres avait adopté un projet de loi complétant l'ordonnance relative à l'organisation, la gestion et la privatisation des entreprises. Celle-ci devait passer, à partir de cette date, par le ministère des Finances et plus précisément par l'IGF, qui avait pour mission de contrôler l'opération. Il y a une chose que l'ancien professeur d'économie à l'université d'Alger ne peut pas perdre de vue : quelques années de retraite et d'éclipse médiatique ne peuvent pas faire oublier sa gestion opaque de plusieurs portefeuilles ministériels touchant au secteur sensible de l'économie. Son retour bruissant au devant de la scène n'effacera pas, bien évidemment, les traces d'un échec qu'il ne daigne pas assumer à présent. Quand il était en poste, Abdelhamid Temmar n'a jamais montré sa désapprobation, comme il ose le dire et l'écrire, des politiques économiques et des choix opérés par le président Bouteflika. Il en était même au cœur. En 2008, en pleine crise financière mondiale provoquée par l'affaire des subprimes aux Etats-Unis, alors ministre de l'Industrie et de la Promotion des investissements, Temmar s'extasiait même du fait que notre pays en soit épargné, non pas parce que l'économie nationale était forte mais parce que les entreprises algériennes... n'exportaient pas ! Il manquait de peu qu'il transforme l'échec en prouesse économique. Dans une déclaration largement reprise à l'époque par la presse, il disait : «Si nos sociétés étaient de gros exportateurs, nous aurions été touchés, comme c'est le cas pour la Chine. Ce pays souffre sérieusement des conséquences de la récession dans le monde et en 2009, il sera victime de la baisse du pouvoir d'achat aux Etats-Unis.» Selon lui, «le fait que les entreprises n'aient pas de présence sur le plan international, ça a servi au pays». L'on ne savait pas qu'avoir une économie rentière qui vit des seules exportations d'hydrocarbures pouvait être bénéfique pour le pays. Mais M. Temmar l'a quand même dit. Et maintenant que les prix du pétrole ont fait une chute libre sur les marchés internationaux ? Après avoir osé une explication aussi biscornue qu'incongrue, l'ancien ministre de l'Industrie et de la Promotion de l'investissement aurait dû avoir de la retenue quand il s'agit de commenter l'actualité économique nationale, lui qui a été aux commandes de 1999 à 2012. Où est passée la stratégie industrielle pour laquelle il a mobilisé des moyens de l'Etat à travers des assises organisées en février 2007 ? Ou sont passés les IDE et surtout les dizaines de milliards promis par «les pays amis et frères» du Golfe ? Voir Abdelhamid Temmar pleurer sur l'arrêt, en 2009, des réformes engagées et l'entendre expliquer aujourd'hui que les raisons de l'échec est «l'omniprésence de l'Etat dans les rouages de l'économie» alors que lui-même avait projeté la création de «13 grandes sociétés nationales», il y a de quoi s'arracher les cheveux. L'incohérence entre un ministre omnipotent, proche collaborateur du chef de l'Etat, et un Temmar conférencier qui revient vendre ses conseils et étaler sa savante expertise pour une sortie de crise est autant criante qu'indécente. Il aurait mieux à gagner de faire le bilan de sa gestion et de l'opération de privatisation que tout le monde sait qu'elle s'est déroulée dans une totale opacité.