Le premier novembre 2015, les jeunes d'hier sont déjà septuagénaires, octogénaires ou même nonagénaires. Derrière eux, les jeunes d'aujourd'hui ont leurs âges lorsque la première balle de Novembre fut tirée, quelque part, entre Ghassira et Mchounêche, dans l'altier plateau des Aurès. Les jeunes d'hier ont eu le pouvoir en 1962. Ils l'ont toujours en 2015. Mais quel que soit l'âge des uns et des autres, quand le pouvoir, la richesse et bien d'autres discriminants les séparent, il reste le drapeau et l'hymne national qui unifient les générations d'Algériens. Comme partout ailleurs depuis que les nations existent et vivent en république ou en monarchie. La bannière à l'étoile cerclée du croissant de l'islam et «Qassaman», l'hymne émouvant des Algériens, et les valeurs patriotiques consubstantielles, sont-ils démodés, voire ringards dans l'Algérie de 2015 ? Si en 1954, les jeunes de Novembre ne se sont posé aucune question pour prendre les armes de la Libération, les jeunes de 2015, eux, peuvent poser ou se poser la question. Interrogation pouvant paraitre pertinente, impertinente, banale ou même provocatrice, à une époque où leur marginalisation a le goût amer du chômage endémique, de l'exode désespéré vers les rives inhospitalières ou meurtrières du Nord-Méditerranée et la jacquerie sociale localisée. En novembre 2008, la radio algérienne avait eu la louable initiative d'organiser une opération «un drapeau dans chaque foyer». Cette action, que des persifleurs auraient qualifiée de démagogique, instruit assez sur l'habitus patriotique des Algériens. Autant que la question de la ringardise de Novembre et de ses valeurs, l'initiative renvoyait aux rituels codifiés, à la symbolique du drapeau comme tissu des signes, à l'hymne national comme expression populaire et musicale du surmoi collectif. Comme hier, les jeunes de 2015 et ceux de demain, pourraient penser que l'étendard est seulement un attribut conventionnel de l'autorité publique. Se dire que l'hymne national ne représente pas forcément leur identité, leur être profond. Que l'un comme l'autre expriment le plus souvent des moments d'exaltation collectifs. Par exemple, à l'occasion d'un match de football qualificatif pour une compétition internationale. Mais que l'on ne s'y trompe pas : le drapeau et l'hymne national ont depuis l'émergence nationaliste du début du vingtième siècle et l'irruption révolutionnaire de 1954 une fonction de rassemblement, une valeur de communion patriotique et une qualité de garant de la continuité de la nation. «Qassaman» et le drapeau vert-blanc-rouge, frappé du croissant et de l'étoile, renvoient à la mémoire de l'affranchissement du colonialisme. Plus précisément, au vert de nos prairies et de nos montagnes, au rouge du sang des martyrs et au blanc des cimes enneigées, celles vers lesquelles s'est élevé le peuple et qui abritaient les jeunes combattants de l'ALN. La bannière et l'hymne symbolisent l'association sang-sacrifice-sol-unité qui raconte l'histoire de la nation, traduit ses valeurs et ses aspirations et reflète par-dessus tout l'âme du peuple. Indépendamment des couleurs du drapeau et des signes associés, c'est «Qassaman» qui exprime le mieux, grâce à la force des émotions exaltées et régulièrement renouvelées, l'appartenance nationale, magnifiée et fétichisée. Depuis toujours, le drapeau, c'est l'ADN du patriotisme pour les uns, le marqueur du nationalisme pour les autres, le fil rouge de l'appartenance individuelle ou collective à une nation, le plus petit dénominateur commun ou le plus petit multiple commun d'un peuple. Surtout quand ce peuple communie dans la joie collective des lendemains de victoires sportives qui chantent et qui disent alors le fier bonheur d'être ce que l'on est. On a vu, dans le cas de l'Algérie, que le bonheur d'être Algériens, d'être de son pays, se mesurait au nombre incalculable de drapeaux déployés partout sur le territoire national et même à l'étranger, à l'occasion de chaque rencontre de football à forts enjeux. En Algérie, comme ailleurs, la fonction du drapeau est de maintenir en permanence un double contact : la nation affiche sa présence alors que le citoyen qui pavoise notamment les jours de fête comme le 5 juillet ou le 1er novembre, exprime son adhésion, manifeste sa fierté, revendique son appartenance. Mais la bannière n'a pas de sens uniquement dans les périodes de rituels codifiés. Elle a une fonction phatique qui consiste à enraciner dans les esprits la sacralité de l'étendard, en s'appuyant sur des paroles ordinaires, répétitives, comme celles des cours d'histoire. Le drapeau remplit aussi ce même rôle phatique dans les cours de récréation où la levée des couleurs stimule les sentiments de loyauté et d'attachement au pays. Ce n'est donc pas un hasard si la Constitution socialiste de 1976 a énoncé les principes de l'hymne national et du drapeau. Le Code pénal et le décret du 13 novembre 1984 sanctionnent quiconque porterait atteinte aux deux symboles de la souveraineté nationale et ne respecterait pas sa levée sur les places publiques et au sein des institutions de la République. N. K.