L'affaire des 300 kg de cocaïne saisis il y a deux jours au large des côtes de la wilaya de Skikda a fait naître une somme d'interrogations mais aussi des doutes passibles de remettre en cause certaines pistes dégagées pour remonter aux réseaux chargés de déverser leur marchandise dans le pays. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Jusqu'ici, tous les regards étaient portés sur Kamel El-Bouchi, incarcéré depuis bientôt huit mois après la découverte de plus de 700 kg de cocaïne dissimulés dans des containers lui appartenant. L'homme est soupçonné d'être le relais de bandes organisées et spécialisées dans le trafic de drogue dure ayant ciblé l'Algérie. Durant tous les mois précédents, le prévenu a été régulièrement interrogé par le juge en charge du dossier. Depuis un moment déjà, l'affaire de la cocaïne semble avoir été mise de côté, des sources judiciaires affirmant, en effet, que les derniers interrogatoires étaient principalement axés sur des affaires liées à la corruption et pour lesquelles ont été incarcérées plusieurs personnes bien placées lui ayant facilité l'obtention de marché et d'assiettes dans le foncier. Le premier procès ayant trait à ce sujet devrait normalement se dérouler à la fin du mois de février prochain, soit le temps de finaliser deux P-V d'audition restants. Peu d'informations restent en revanche disponibles sur l'évolution de l'affaire de la cocaïne. Les zones d'ombre demeurent totales. Les interrogations demeurent entières surtout au regard des découvertes faites par les enquêteurs chargés de rechercher minutieusement tous les détails possibles dans les containers. Une découverte a particulièrement attiré l'attention, celle de GPS, torches électriques, nœuds en acier et sacs hermétiques semblables à ceux filmés et publiés par le MDN après la saisie des 300 kg de cocaïne au large de Skikda. Les 700 kg interceptés au port d'Oran étaient-ils destinés à être largués tout comme celle récupérée par des commandos de la Marine nationale il y a deux jours ? L'hypothèse soulevée est une certitude chez les enquêteurs. Informées de l'opération, les autorités algériennes ont, cependant, fait amener la marchandise avant que les plans ne soient mis à exécution. Conscientes d'être face à un solide réseau de trafic de drogue, ces dernières resserrent la surveillance autour des zones d'accès, ports, aéroports, frontières terrestres, rendant ainsi les opérations d'infiltration extrêmement difficiles. L'état d'alerte est au maximum, d'autant que les tentatives d'introduction de quantités, moins importantes, de cette drogue ont eu lieu à plusieurs reprises durant les mois écoulés. Une information révélée il y a quelques semaines par le ministre espagnol de l'Intérieur intéresse alors au plus haut point les Algériens. Un laboratoire spécialisé dans la transformation des drogues dures a été découvert à Valence. Tout comme les 300 kg de cocaïne, la cargaison précédente se trouvait à l'état brut, et donc impossible à commercialiser avant traitement. La piste est sérieusement à l'étude. Comme Barcelone, Valence est qualifiée par les Espagnols eux-mêmes de «véritable bastion pour l'importation de la cocaïne en provenance de Colombie». Selon la police espagnole, aucun pays européen, mis à part les Pays-Bas, n'enregistre autant d'importation de cocaïne que l'Espagne. En dépit de la lutte menée contre ce fléau, les autorités espagnoles sont aujourd'hui accusées d'être dépassées par l'ampleur de la situation, mais ce sont ces dernières qui ont alerté l'Algérie sur la présence du navire à bord duquel se trouaient les 700 kg de drogue. Ce navire, battant pavillon libérien et en provenance du Brésil, était passé par le port de Valence. Une piste en béton ? Plus de certitudes depuis la saisie de Skikda il y a deux jours. Non loin de là, en France, le port de Marseille lutte, lui aussi, contre des réseaux de drogue dure bien installés. Une autre piste, donc, tout aussi solide que peut l'être la première. Comme à Valence, l'audace des narcotrafiquants a engendré des tueries dues à des règlements de comptes qui n'en finissent pas. Selon les spécialistes de l'Observatoire algérien de lutte et de prévention contre la toxicomanie, l'introduction de telles drogues sur le territoire national donnera naissance à une population consommatrice et développera inévitablement des réseaux dangereux. L'Algérie tente aujourd'hui de se protéger contre leur implantation, mais n'évacue pas la possibilité de «tentatives de manipulations» liées à la sensibilité de la conjoncture que traverse la région. La présence d'un drapeau russe sur les sacs retrouvés au large des côtes de Skikda a semé le doute. Le procédé est inhabituel, «cousu de fil blanc», affirment des spécialistes qui tiennent à rappeler l'étroite connexion existant entre groupes armés et réseaux de drogue. La situation qui prévaut au Sahel ouvre la voie à de telles opérations. La zone est également soumise à de fortes luttes de leadership de puissances étrangères engagées dans la lutte antiterroriste. Alors qu'Américains et Français tentent de trouver un équilibre, la Russie poursuit son implantation à travers le territoire africain tout entier s'attirant des critiques exprimées ouvertement ces derniers temps. Selon Paris, le déploiement militaire et diplomatique russe (20 milliards de dollars de dette de plusieurs pays africains ont été effacés dans certains pays d'Afrique en 2017) s'est accompagné de mercenaires russes connus sous le nom de Wagner. En Occident, des analystes craignent percevoir en ces détails le retour d'une guerre froide sous forme de conquête de territoires. De par sa position géographique, l'Algérie demeure ouverte à tous les vents... A. C.