Remarquable roman de maîtrise et d'intensité, où l'auteur saisit la tragédie de trois destins expédiés dans un monde d'ombres et de douleurs. Bien que le mur soit haut et que le chaos encercle les protagonistes de toutes parts, l'écrivain réussit la prouesse de ne pas cristalliser le malheur, en dessinant des personnages qui rêvent éveillés, qui espèrent. Si dans son premier roman, le Bus dans la ville, il affichait l'idée selon laquelle partir c'est mourir un peu, sa deuxième expérience romanesque révèle que même rester, c'est mourir un peu. Dans le premier, le personnage central cherchait à se reconstruire en convoquant les souvenirs, et en arpentant les rues d'une ville habiter par l'absence ; dans Si tu cherches la pluie, elle vient d'en haut, les protagonistes fuient leur passé. Au moment où on les rencontre, ils sont déjà dans la phase de l'acceptation de vivre avec une douleur qui peut ressurgir à tout moment, mais qu'ils préfèrent taire. Ils ont conscience de la douleur qui vit en eux, mais préfèrent ne pas y penser, ne pas la remuer. Yahia Belaskri reprend sa plume sans concession et pleine d'empathie, pour nous expédier dans un monde happée par le malheur. Il décrit les trajectoires de trois personnages, trois destins qui, à peine-nés, sont déjà pris dans le tumulte d'une réalité complexe. Déhia, Adel et Badil composent avec les stigmates du passé, en étouffant les remords, en vivant le présent avec intensité, en fabriquant de nouveaux souvenirs. Adel et Déhia ont fui l'Algérie après avoir tout perdu durant la décennie 1990. Badil, frère d'Adel, n'a pas eu beaucoup de chance dans la vie. Ses expériences se soldent toujours par un échec. Moins chanceux que son frère instruit et passionné de lecture, Badil sera à jamais anéanti par la prison, qui lui ôtera son bien le plus précieux, sa dignité. Déhia, Adel et Badil cherchent donc à fuir un pays qui renie son passé, à rompre avec une société qui perd sa mémoire, à briser le lien avec des individus qui basculent dans une violence inouïe. Adel et Déhia continuent, de l'autre côté de la mer, à rêver éveillés, à espérer, à idéaliser “une terre rouge”, mais Badil refuse tout compromis et décide de jeter toutes ses espérances dans la mer, peut-être les flots le laveront-ils de ses pêchés, de ses “naufrages”. Yahia Belaskri sort le phénomène douloureux des harraga de la légende (et du fantasme parfois). Il nous installe dans leur drame, dans leurs embarcations de fortune, et saisit la tragédie. Un drame de rêveurs désenchantés, brisés par l'indifférence d'une société qui leur tourne le dos. Un pays où il n'y a pas de place pour eux. Il n'y en a jamais eu d'ailleurs, ni pour eux, ni pour les autres, à moins que l'on accepte le chantage, la corruption, le compromis, la négation de soi, de ses valeurs. Le traumatisme et la névrose frappe les protagonistes auxquels on a volé leur jeunesse, leur sentiment de sécurité, et le passé, incroyablement affligeant, finit non seulement par les rattraper, mais par les anéantir. Outre un style empathique, Yahia Belaskri renvoie le lecteur à ses propres démons dans la mesure où l'auteur traite d'une humanité blessée, et arbore une écriture nerveuse et tendue, avec un souffle poétique appuyé. La cristallisation romanesque (histoire d'amour entre Adel et Déhia) est envisagée comme un processus de reconstruction, idée inhérente chez Yahia Belaskri et qu'on avait déjà observée dans son premier roman. Se reconstruire. Voilà donc la clé de ce roman qui déconstruit nos certitudes, en installant de la complexité dans chaque situation. Si tu cherches la pluie, elle vient d'en haut (prix Ouest-France-Etonnants Voyageurs 2011) dessine également les contours d'une ville qui ignore ses habitants, les rabaisse parfois et les renvoie à leur propre condition d'êtres humains totalement dépersonnalisés, et noyés dans un tout qui ne prend pas en considération leurs individualités, leurs espérances et aspirations. Une ville froide, inquiétante, où se dressent des murailles de mensonges et d'oubli. S K Si tu cherches la pluie, elle vient d'en haut, de Yahia Belaskri. Roman, 152 pages, éditions Apic. 450 DA.