Selon l'expert, l'élargissement de la proportion des enfants de moins de 15 ans et des personnes de plus de 60 ans "est de nature à produire une double pression sur les politiques publiques." Liberté : Quelles sont les implications de ce recul de douze ans dans la collecte de données sur la population par un recensement général ? Faouzi Amokrane : Il est vrai que c'est la première fois qu'un tel décalage est observé par rapport à la période décennale entre deux recensements (+02 ans pour l'instant)... D'ailleurs, la date de 2021 risque de connaître (entre autres) la rencontre de l'enquête décennale très lourde de l'ONS sur la consommation des ménages (la dernière étant menée en 2011). Ce qui est de nature à rendre encore plus compliquée la conduite de ces deux événements à la fois... Sinon, l'avantage du recensement réside (entre autres) dans sa couverture du territoire national. Ce qui permet d'actualiser la structure de la population selon les principaux profils (âge, sexe, lieu de résidence.) Quelle est votre perception de la courbe démographique sur la base du mouvement naturel de la population (nombre de naissances et de décès enregistrés à l'état civil) ? Je crois que la pyramide des âges de la population algérienne que l'ONS produit et les projections établies par la Division Population des Nations unies sont assez expressives sur l'allure générale du croît démographique de la population algérienne. En somme, nous avons une pyramide qui, depuis 2008, s'élargit de nouveau par la base (par le fait de la remontée des naissances), dans le même temps que celle-ci continue à connaître de plus en plus de personnes à l'autre extrémité, c'est-à-dire des personnes âgées (en absolu et en relatif). C'est une forme, quelque part, atypique, avec un élargissement au niveau des deux extrémités de la pyramide. C'est de nature à produire une double pression sur les politiques publiques, tant que ces âges (moins de 15 ans et plus de 60 ans) sont des consommateurs nets de services publics et fortement dépendants des actions de l'Etat. Bien entendu, les travaux et analyses sur ce phénomène menés par nos chercheurs (dont M. Hammouda) ont pu déceler les teneurs de cette situation, notamment en ce qui concerne l'appréciation importante de la longévité avec l'allongement de l'espérance de vie à la naissance, conséquemment à l'amélioration des conditions de vie, l'instruction notamment des filles et le renforcement de la nuptialité depuis les années 2000, à la suite de la crise multiforme ayant caractérisé les années antérieures. Est-il possible d'établir une stratégie de développement socioéconomique et des projections sur la croissance démographique, les capacités d'offre du marché du travail, la capacité de la CNR à continuer à assurer les pensions de retraite... sans avoir des statistiques récentes ? Il est clair que plus on dispose d'informations fraîches et fiables, plus importantes sont les chances d'élaborer des programmes de développement mieux ciblés... Le recensement de population n'en est qu'une de ces sources bien sûr. Cependant, votre question appelle à comprendre, d'abord, l'utilité d'une politique de population au développement. Faut-il rappeler qu'une politique de population est définie comme les actions prises explicitement ou implicitement par les pouvoirs publics pour "prévenir, retarder, ou gérer les déséquilibres entre les changements démographiques (mortalité, fécondité, migration), d'une part, et les objectifs sociaux, économiques, environnementaux et politiques, d'autre part". C'est justement ce type de politiques qui détermine (pour l'essentiel) l'évolution démographique future de la société. À terme, les changements sur l'allure de la pyramide des âges vont, à leur tour, avoir des répercussions économiques, connues sous le nom de "dividende démographique", c'est-à-dire quand la baisse de la fécondité provoque une stabilisation, voire un rétrécissement de la base de la pyramide, ce qui a pour double effet d'augmenter de manière relative le nombre d'actifs et de diminuer le poids des enfants à charge des travailleurs. C'est à ce niveau que les analyses prospectives et les projections démographiques permettent d'anticiper des mesures socioéconomiques appropriées, notamment à l'endroit des catégories dites dépendantes (la population des séniors et les jeunes de moins de 18 ans).
Comment expliquez-vous l'explosion des naissances (plus d'un million) à partir du milieu des années 2000 ? La fécondité se mesure au niveau de l'individu. Elle traduit comportement/profil procréateur de la femme. Alors que la natalité se mesure par rapport à la société et peut être influencée par le volume des personnes disponibles dans la société en âge de donner des enfants (la Chine avec 15 millions de naissances - natalité), mais une fécondité très basse (1,6 enfant par femme) en 2018...