Sitôt annoncée officiellement, la perspective de libéraliser le champ audiovisuel suscite déjà une certaine effervescence auprès des postulants potentiels au lancement de chaînes de télévision et radios privées. Longtemps retardée pour des considérations politiques et idéologiques qui ont permis au Pouvoir d'avoir, depuis l'indépendance du pays, la mainmise totale sur un secteur aussi névralgique, cette ouverture médiatique à grande échelle, que le gouvernement a fini par concéder malgré lui pour essayer de reconquérir une (modeste) place dans le paysage médiatique télévisuel international, en priorité maghrébin, ouvre donc un espace de réflexion – et de challenge il y va de soi – qui va sans aucun doute alimenter de manière très conséquente l'actualité dans les jours à venir. Si on peut déplorer l'absence de réactions spontanées de la part des partis politiques et des associations qui sont en droit de réserver leurs appréciations, particulièrement ceux et celles qui n'ont eu de cesse de réclamer la démocratisation des médias lourds pour instaurer une liberté d'expression authentique en Algérie, on se réjouit en revanche de la surprenante profession de foi du chef de l'Etat en personne qui, selon un confrère s'appuyant sur une source fiable, aurait admis lors du dernier Conseil des ministres que «nous n'avons pas de télévision. Notre télévision n'est même pas classée. Sur ce terrain, nous sommes complètement désarmés, dépassés. Nous sommes agressés de partout et nous n'avons rien pour nous défendre». Cette observation, qui met fin à toutes les tergiversations du chef du gouvernement, conforte toutes les critiques émises jusque-là sur la médiocrité et l'incompétence de l'Unique, dont les responsables n'ont jamais su faire la différence entre les impératifs d'un service public qui ne doit jamais se départir des contingences professionnelles et des règles d'éthique, et la tendance vers un zèle excessif de soumission qui transforme l'entreprise en une vulgaire boîte de propagande. Si le Pouvoir a fini par l'admettre à son corps défendant, les Algériens ont compris depuis longtemps que leur télé n'a aucune prise sur leur quotidien, et de surcroît ne sert à rien dans le concert médiatique mondial. Jamais de mémoire de journaliste un constat aussi amer et aussi dur n'a été fait de la part d'un premier magistrat du pays à l'encontre de la télévision nationale qui, faut-il le rappeler, quelles que soient les circonstances et les conjonctures, a toujours bénéficié d'un statut privilégié et donc d'un soutien indéfectible. Penser que le travail de notre télé est nul et contre-productif est une chose, mais voir s'étaler aussi crûment une telle vérité dans la presse en est une autre. Cela prouve en tout état de cause que si le Pouvoir s'est, contre son gré, avisé à aller dans le sens de la sagesse en optant pour la réforme de l'audiovisuel, c'est indéniablement qu'il n'avait pas d'autre choix. Mais entre la nécessité d'ouverture imposée par les réalités de communication d'aujourd'hui, qui reste un acte éminemment politique, et la concrétisation des projets qui trottent dans la tête de nombreux candidats à l'investissement privé, le chemin paraît très long et surtout parsemé d'embûches. Bien sûr qu'il faudrait attendre le document législatif, étudié, révisé et adopté par l'instance parlementaire pour voir plus clair, mais d'ores et déjà la façon dont comptent procéder les autorités pour entériner les dossiers semble peu orthodoxe pour faciliter les opérations d'agrément. En gros, les conditions émises pour obtenir le quitus paraissent très lourdes et très contraignantes, comme si on voulait, au départ, dissuader les initiatives les plus ambitieuses. On a par-dessus tout l'impression que le Pouvoir craint tellement cette ouverture qu'il se résigne à se doter d'un maximum de verrous pour éviter que le champ audiovisuel ne se disperse en sa défaveur, si tant est que c'est d'abord son intérêt hégémonique sur les organes d'information les plus influents qui est recherché et non pas celui qui donnerait à l'Algérie un système de communication libre et transparent, plus conforme avec l'idéal démocratique. De toute évidence, si l'enjeu paraît déterminant pour les tenants du régime qui devront s'accommoder d'un paysage médiatique plus actif, il est encore plus capital pour l'Algérie qui a aujourd'hui plus que jamais, à travers ses compétences et la conviction de ses énergies, l'obligation de se prémunir contre toute tentation visant à détourner le champ audiovisuel de ses principes républicains. Autrement dit, si la vigilance doit fonctionner, c'est en direction des visées intégristes qu'elle doit d'abord être orientée, sachant qu'une télé ou une radio entre les mains de cette engeance idéologique peut s'avérer très dommageable pour la construction de la société républicaine. Cela dit, il faut rester optimiste malgré tout, car réformer chez nous un vieux système de communication n'est pas une mince affaire. Il faut juste surpasser les a priori et lever les obstacles bureaucratiques inutiles, comme l'a fait la Tunisie qui ne baigne pourtant pas dans la stabilité. Plusieurs postulants, dont des hommes d'affaires qui ont les moyens, sont déjà sur les rangs. El Watan, fidèle à son combat démocratique pour la liberté d'expression, veut lui aussi participer à cette aventure qu'on espère exaltante. Tous espèrent que l'engagement de Bouteflika ne restera pas une vaine promesse. Et la conclusion, c'est un lecteur qui nous la livrera sous forme de boutade : «J'y croirai le jour où je verrai les guignols sur nos écrans. Ce ne sont pas les sujets qui manqueront chez nous…»