Bruxelles a donné lundi son feu vert à l'une des trois opérations d'envergure actuellement en cours dans la chimie: la fusion des géants américains Dow et DuPont, qui donnera naissance à un mastodonte de 130 milliards de dollars en Bourse. Cette autorisation est soumise à une condition: "la cession d'une partie importante de l'activité mondiale de DuPont dans le secteur des pesticides", dont sa structure mondiale de recherche et développement. "Avec la décision adoptée aujourd'hui, nous veillons à ce que la concentration entre Dow et DuPont ne porte pas atteinte à la concurrence par les prix pour les pesticides existants, ni à l'innovation", s'est félicitée la commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager. Cette dernière s'apprête à se rendre aux Etats-Unis pour participer vendredi à une rencontre annuelle avec ses homologues du monde entier. Le feu vert de l'UE s'inscrit dans un secteur en proie à un vaste mouvement de concentration. Bruxelles va ainsi se prononcer, d'ici la date butoir du 12 avril, sur une deuxième opération, le rachat du suisse Syngenta par le chinois ChemChina pour 43 milliards de dollars, ce qui constituerait la plus grosse acquisition jamais réalisée par un groupe chinois à l'étranger. Une troisième opération, le rachat de l'américain Monsanto par l'allemand Bayer pour 66 milliards de dollars, ne lui a pas encore été officiellement notifiée, mais sera aussi soumise à son contrôle. Ces opérations sont "très différentes", bien quelles concernent "le même secteur", a insisté Mme Vestager lundi, précisant que les cas étaient étudiées les uns après les autres "au regard de la situation qui prévaut" à chaque fois sur le marché, selon la règle du "premier arrivé, premier servi". Ce mouvement de concentration pourrait "exacerber les problèmes causés par l'agriculture industrielle", en accroissant le "contrôle" du secteur par les multinationales, en restreignant le choix des agriculteurs ou encore en freinant celui des consommateurs, estimaient lundi, avant cette annonce, plusieurs ONG --dont Greenpeace et Friends of the Earth Europe-- dans une lettre ouverte à la commissaire à la Concurrence. La Commission européenne avait ouvert mi-août une enquête approfondie sur la fusion de Dow et DuPont, craignant que l'opération ne réduise la concurrence sur "plusieurs marchés de pesticides" et ne provoque un recul de l'innovation dans le domaine de la protection des cultures dans son ensemble. Mais "les engagements offerts" par les deux groupes, à savoir les cessions de DuPont dans les pesticides, "dissipent totalement ces craintes", écrit l'exécutif européen, gardien de la concurrence sur le marché européen, dans son communiqué. Annoncé en décembre 2015, la fusion de Dow Chemical et DuPont, qui attend toujours l'accord des régulateurs chinois et américain, permettrait au groupe de devenir le numéro deux mondial des semences et le numéro trois des produits phytosanitaires. Baptisée DowDuPont, l'entreprise serait dans un deuxième temps scindée en trois sociétés cotées indépendantes: l'une centrée sur l'agriculture, une deuxième sur la science des matériaux et la dernière sur la chimie de spécialité. L'opération doit notamment permettre de réaliser à terme 3 milliards de dollars d'économies. Les deux entreprises entendent ainsi redresser leur rentabilité, touchée de plein fouet ces dernières années par la baisse des prix des matières premières. En 2016, DuPont est parvenu à faire progresser son bénéfice net de 29% à 2,5 milliards de dollars. Mais ses ventes en revanche ont déçu, le groupe ayant écoulé pour 24,59 milliards de dollars de produits, soit 2% de moins qu'en 2015. Dow Chemical a pour sa part vu son bénéfice net reculer de 46%, à 3,98 milliards de dollars, mais celui-ci reste supérieur aux attentes hors éléments exceptionnels. Le chiffre d'affaires s'est contracté de 1%, à 48,2 milliards de dollars.