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Ou les aubes sanglantes de Serkadji
Les Guillotinés de Novembre
Publié dans Le Soir d'Algérie le 14 - 06 - 2020


Par Amar Belkhodja(*)
Bonne et mauvaise foi se côtoient intimement, avancent ensemble et pour identifier chacune d'elles, il faut les démêler et muter la vertu à celui qui la mérite et infliger le vice à celui qui a fait du mensonge une raison de vivre, de survivre, de bâtir un Etat avec l'ensemble des institutions, sur la tricherie, le mensonge, la perfidie. Au fil des ans et des événements, nous Algériens, allions, nous retrouver devant un Etat colonial menteur et, par voie de conséquence, de mauvaise foi.
Ainsi, nous devons considérer qu'à chaque action de l'administration coloniale à notre égard, notre réaction, quelle que soit la forme qu'elle prendra, ne peut être que légitime, donc de bonne foi. Autrement dit, la violence à laquelle va recourir le FLN en 1954 s'inscrit dans la logique des choses, c'est-à-dire l'aboutissement d'un long processus alterné de soulèvements armés et de luttes politiques. La bonne foi des Algériens réside dans l'appel du FLN du 1er Novembre 1954 qui, à travers un alinéa, précise d'une manière on ne peut plus claire, que pour éviter l'effusion de sang de part et d'autre, il faut entamer dès alors la négociation avec — évidemment — un préalable indiscutable : l'indépendance de l'Algérie. Le régime colonial fera fi de cette proposition espérant «écraser rapidement la rébellion» et oubliant carrément l'esprit de sacrifice des Algériens et doutant que le «pour éviter l'effusion du sang» n'était qu'un marchandage avec la patrie, c'est-à-dire un désir d'économie du sang que les Algériens vont accepter de verser comme prix de la liberté. La future synthèse va d'ailleurs le démontrer amplement.
Traitant des massacres coloniaux, Yve Benot(1) se résout à une sentence qui donne raison aux Algériens, c'est-à-dire tout leur accorde — exactions, répressions, humiliations — le «droit à l'insurrection». Un droit à l'insurrection qui va légitimer toutes les violences que l'adversaire s'entêtera à accuser et à condamner ; occultant systématiquement le premier coupable, auteur des premières violences, illégitimes puisqu'elles remontent à l'invasion de 1830. Elles ne vont plus cesser, car c'était la seule condition pour faire maintenir la domination. J'ai eu à traiter de ce sujet dans un ouvrage paru en 2009 aux éditions Anag(2). Je m'attarde à faire une synthèse des idées développées, dans le but de combattre la falsification et la déformations des faits.
Le chapitre a pour théâtre la résistance urbaine des enfants de la Casbah confrontés à l'une des plus féroces répressions menées sans pitié par Jacques Massu, sa horde de parachutistes et ses complices, sinistres partisans de la torture massive.
Autorités coloniales et pieds-noirs s'offusquent et crient au scandale parce que le FLN s'est lancé dans l'utilisation des bombes tuant ainsi des «civils innocents». Les parachutistes de Massu croyaient accabler Mohame-Larbi Ben M'hidi, en l'accusant d'utiliser des explosifs contre la population civile. La réplique du compagnon de Abane Ramdane est restée célèbre : «Donnez-nous vos avions, nous vous donnerons nos couffins.»
Effectivement, l'armée française et le pouvoir qui la dirigeait ont créé un véritable abcès de fixation, en tentant de faire croire que le FLN posait ses bombes urbaines meurtrières contre lesquelles il fallait employer tous les moyens pour protéger la population française algéroise.
Faisant taire ainsi que, dès les premiers jours de Novembre 1954, l'aviation française commençait déjà à déverser du napalm sur les populations civiles des Aurès, ceci avec la bénédiction de François Mitterrand alors ministre de l'Intérieur avant d'être nommé ministre de la Justice et sous le règne duquel la guillotine fonctionna à volonté pour décapiter les insurgés algériens.
À Tiaret, nous avons droit au même scénario lorsque le tribunal militaire accusa Hamdani Adda (voir «l'affaire Hamdani Adda brûlé vif par l'OAS Ed. Enag 2009) d'avoir utilisé des bombes en zone urbaine. Comme le fit Ben M'hidi, Hamdani Adda rappela à ses accusateurs que ces mêmes bombes avaient d'abord été utilisées par l'aviation française contre les populations algériennes vivant en zones rurales(3).
Toutefois, nous nous trouvons confrontés à la manipulation des faits et des événements qui favorise le désordre dans la chronologie. L'utilisation des bombes, à notre connaissance, n'a jamais été évoquée comme moyen de lutte ou d'auto-défense par le FLN.
La plate-forme du Congrès de la Soummam met surtout l'accent sur le renforcement de lutte armée, c'est-à-dire renforcer les moyens de l'ALN pour en faire la principale force dans le combat contre le colonialisme français. Ce sont plus précisément les ultras, racistes notoires, qui vont cibler La Casbah d'Alger, en faisant exploser une bombe à la rue de Thèbes, le 10 août 1956 selon Danièle Djamila Amrane Minne (Femmes au combat – R.1 page 98 – Ed. Rahma 1993). Elle fait 26 morts et 30 blessés parmi les Algériens. Le bilan et la date de l'attentat changent d'un historien à un autre. Patrick Kessel et Giovani Pirelli rapportent que la bombe explosa en juillet 1956 et fit une cinquantaine de morts (Le peuple algérien et la guerre – pp.47,48- Ed.Maspéro – 1962). C'est une soixantaines de morts selon Alistair Horne (Histoire de la guerre d'Algérie – Ed. Dahleb-2007).
Cependant, nous voulons préciser que c'est la première bombe qui explose à Alger et ses auteurs ne sont pas algériens. Cette sinistre besogne exécutée par de sinistres personnages qui répondent du nom de René Kovacs, Philippe Castille, Michel Fechoz(4), une triplette qui agit sur les ordres d'un grand criminel, celui qui décima toute la jeunesse guelmoise en mai 1945 : André Achiary. Dix ans après les horribles massacres de 1945 le sous-préfet assassin ne s'est pas totalement rassasié du sang des Algériens. Il signe un autre forfait à la rue de Thèbes contre une population civile composée de femmes, d'enfants et de vieillards, surpris dans leur sommeil et qui périssent sous les décombres. La première bombe à Alger étant l'œuvre maléfique d'André Achiary et ses acolytes, le FLN n'avait pas d'autre choix que d'utiliser les mêmes méthodes grâce à l'engagement de poseuses de bombes, des jeunes filles qui, pour la majorité, vivaient encore leurs vingt ans, c'est-à-dire adolescentes ou à peine sorties de l'adolescence. Ainsi, le 30 septembre 1956, «entre en scène», pour la première fois donc depuis le 1er Novembre 1954, le FLN avec des déflagrations qui vont secouer tout Alger, surprendre l'autorité coloniale et l'opinion internationale. Certains sympathisants du FLN seront, au départ, réticents au recours de ces méthodes qui, dit-on, n'épargnent pas les civils. Comme Ben M'hidi qui proposera aux Français ses couffins contre des avions, Abane Ramdane proclamera : «Je ne vois pas grande différence entre la jeune fille qui place une bombe au Milk-Bar et l'aviateur français qui bombarde une mechta ou qui lance du napalm sur une zone interdite» (cité par Alistair Horne dans Histoire de la guerre d'Algérie – Ed. Dahleb- 2007).
Djamila Bouhired va inaugurer l'introduction des bombes dans la résistance en milieu urbain, suivie ensuite par Zohra Drif, Malika Korriche, Fella Hadj Mahfoud, Z'hor Zerari, Hassiba Ben Bouali, Djamila Bouazza, Djamila Boupacha.... Deux nouvelles adolescentes vont intégrer le réseau urbain, Djohar Akrour, 18 ans, et Baya Hocine, 17 ans, vont transporter des bombes, la première au stade municipal avec son compagnon Rahal Boualem et la seconde au stade d'El-Biar avec Bellamine Mohamed. C'était le 10 février 1957. Ce sont des moments marqués par une situation explosive. C'est le cas de le dire. La grève des six jours venait tout juste d'être terminée. Massu et ses parachutistes vont alors déclencher et poursuivre la plus féroce et sanglante répression contre les Algériens pour détruire, coûte que coûte et par tous les moyens, les réseaux urbains FLN.
La torture devient un spectre. L'armée française s'enlise dans les méthodes les plus ignobles et les plus abjectes en instaurant la terreur et en utilisant tout un attirail d'instruments de torture.
Le bilan est effroyable. Des centaines de disparus, beaucoup sous la torture dans une multitude de centres dont la villa Susini fut certainement le lieu le plus sinistre et le plus tristement célèbre. Tous les enfants de La Casbah sont devenus des suspects potentiels qu'ils fallait soumettre à la torture pour « découvrir une bombe et l'empêcher d'exploser ». Une véritable obsession à partir de laquelle on élaborait des théories les plus extravagantes, autorisant ainsi tous les abus. Ces « chefs-d'œuvre » en la matière nous sont proposés par Raphaëlle Branche dans son puissant ouvrage La torture et l'armée pendant la guerre d'Algérie – Ed. Fayard, Paris 2001.
Cette gigantesque entreprise d'avilissement et d'humiliation de l'être humain est désignée par Jaques Massu et ses complices comme étant «La Bataille d'Alger». Mais de quelle «bataille» s'agit-il réellement lorsque les forces sont inégales et où le plus fort jure d'écraser le plus faible au prix de la terreur, de l'institutionnalisation de la torture, dénoncée déjà en 1955 par un écrivain de renom, François Mauriac.
Les historiens les plus honnêtes et les plus vigilants refusent d'emprunter la terminologie aux officiers de l'armée française. Ainsi par exemple Gilbert Meynier dans son Histoire intérieure du FLN 1954 – 1962 – Casbah Editions 2003 n'évoque jamais le mot «bataille» mais, au contraire, il use d'une formule plus juste en répétant toutes les fois quand il aborde les dures épreuves de la population de La Casbah : «La grande répression d'Alger» (dite ‘'Bataille d'Alger'') (p.14) ou encore La répression coloniale de l'hiver 1957 – dénommée ordinairement ‘'bataille d'Alger' (p.30) ». La rigueur étant une règle fondamentale dans l'écriture de l'histoire, Gilbert Meynier aura choisi la définition la plus juste puisque la réalité sur le terrain démontrait, comme nous l'avions souligné plus haut, la flagrante inégalité dans les forces. Ainsi Gilbert Meynier citera en page 61 de son remarquable ouvrage : La grande répression d'Alger connue en France sous le nom de bataille d'Alger. Il poursuivra de la sorte en page 71 : Dans l'hiver 1957 lors de la grande répression d'Alger ; signalant aussi que «Larbi Tebessi finit probablement assassiné en avril 1957 pendant la grande répression d'Alger (p.190). Enfin, en page 333, l'auteur affirmera avec force et précision que : «La répression d'Alger resta cependant d'épisode le plus connu et le plus médiatisé de la guerre de Libération sous le nom abusif de ‘'Bataille d'Alger''». Voilà un historien compétent qui sait faire la part des choses, propose les formules les plus adéquates en interprétant savamment les choses et les événements. Dans l'écriture, nous prenons acte que l'auteur se met en opposition aux formules véhiculées par le système colonial et ses représentants qui, enclin, de par sa nature, à la déformation et à la désinformation, produit tout un lexique qu'il affecte à la guerre d'Algérie.
Il en est de même pour Raphaëlle Branche qui prend toujours la précaution de mettre «Bataille d'Alger» entre les guillemets. Les guillemets étant le signe qui avertit le lecteur que «bataille» est un vocabulaire destiné à semer le doute, à déformer les faits et à banaliser les événements et, plus pernicieux encore, à gratifier les sinistres praticiens de la torture d'auréoles pour tenter de faire croire qu'ils se trouvent dans un champ de bataille et qu'il se battent dans la loyauté.
Pour Alistair Horne (Histoire de la guerre d'Alger) «à la guerre, c'est comme à la guerre». Il se passe carrément des guillemets, la bataille des couffins contre les avions étant admise, comme si la guerre ne se déroulait qu'à Alger.
Les guillemets sont également proscrits chez beaucoup de journalistes qui font dans le suivisme et surtout chez un acteur principal des événements : Yacef Saâdi.
Ses Mémoires qui sont rédigées grâce à Hocine Mezali portent tout naturellement le titre de «La Bataille d'Alger». Un raccourci qui risque de sauver les plus grands criminels de la guerre d'Algérie : Jaques Massu, Marcel Bigeard, Jean-Marie Le Pen, ainsi que les Godard, les Léger, les Trinquier... des officiers de l'armée française qui rappellent ceux qui les ont précédés dans les premiers moments de la conquête, les Bugeaud, les Montagnec, les Cavaignac, les Lamoricière, les Saint Arnaud, les Beauprêtre, des officiers sanguinaires qui gagnaient leurs galons par le meurtre collectif et les razzias.
Digressions utiles.
Racisme
Les cellules urbaines FLN sont démantelées au prix que l'on sait. Les procès se succèdent, alimentant une guillotine qui soumet les condamnés à mort à aller «à leur propre enterrement», formule si chère à Zohra Drif. «Jusqu'à la fin, les cris du quartier des femmes, le plus proche du lieu de sacrifice, accompagnent nos frères qui vont à la mort et à leur propre enterrement» (cité par Danièle Djamila Amrane Minne dans Femmes au combat –Ed. Rahma 1993).
Baya Hocine, Djouher Akrour et leurs compagnons sont arrêtés le 19 février 1957. La justice est expéditive, les pouvoirs spéciaux étant en vigueur, depuis qu'ils avaient été votés en avril 1956. Le racisme persiste depuis 1830. Sentiment entretenu par le système dans la conscience même de la communauté européenne implantée par la force en Algérie mais présent dans l'ensemble des institutions. J'ai traité du sujet dans Colonialisme, les crimes impunis ( Ed. Alpha 2005). Je me plaisais de recourir à une dédicace «Racisme et colonialisme : deux frères siamois, monstrueux et abjects». Expliquant par là – même que le colonialisme, malheur de l'humanité, ne pouvait guère exister et prolonger son existence sans recourir à un autre sentiment aussi malsain : le racisme.
Dans une correspondance adressée à son avocate Nicole Dreyfus, Baya Hocine dénonce son juge de l'avoir traitée de «sale race» (voir annexe). Au procès des compagnons de Ali la Pointe, qui s'ouvre le 19 mars 1957, Baya Hocine et Djoheur, mineures, sont citées à titre de témoins. Dans la salle, on crie «assassins». Baya Hocine est gratifiée de tous les surnoms par la presse coloniale : «terrible», «monstrueuse», parce qu'elle répondit qu'elle était consciente de son acte étant convaincue que ce qu'elle faisait était utile (voir articles de presse en annexe).
Le 2 mars 1957, les deux auteurs de l'attentat à la bombe et deux de leurs camarades sont condamnés à la peine capitale. Ils sont exécutés le 20 juin à la même heure à Serkadji :
- Radi H'mida né le 23 avril 1935 à Alger
- Belamine Mohamed Mohand né le 24 février 1932 à Yakourène
- Rahal Boualem né le 30 décembre 1937 à Alger
- Touati Saïd Ben Bey né le 14 décembre 1928 à Alger.
Tous les quatre sont montés à l'échafaud avec courage et dignité, comme Zabana H'mida (le premier guillotiné de la guerre d'Algérie : 19 juin 1956) et la majorité des condamnés à mort.
Les captives de Barbarousse (Serkadji) gardent des souvenirs les plus exaltants et les plus traumatisants à la fois. Certes les aubes sanglantes sont douloureuses où l'émotion se mêle à la colère, à l'impuissance. L'impuissance de savoir que dans un proche instant, une sinistre machine lugubre comme un charognard, va décapiter un être humain, un Algérien qui a osé dire non à l'injustice et qui a accepté de mourir pour la patrie.
Une ambiance toute particulière est vécue par l'ensemble des détenus de Serkadji qui se réveillent presque toutes les aubes pour soutenir leurs compagnons aux cris de «Allah Akbar» et «Tahia el Djazaïr» depuis qu'ils sont tirés de leurs cellules jusqu'au lâcher du couperet de la guillotine. Les femmes de l'intérieur de cet îlot carcéral, planté en plein cœur de la zone urbaine, propulsent vers le ciel de leurs voix qui s'assemblent dans un concert original, non pas par des chants funèbres, mais par de vibrants et enthousiastes chants patriotiques : «Min Djibalina» ou «Ikhwani la tensaw chouhadakoum». Ambiance qui ébranle et déstabilise geôliers et bourreaux par ce double sentiment : un sentiment patriotique élevé et un sentiment inégalable d'accepter le sacrifice(5). Puis l'autre sentiment de colère qui se manifeste par toutes sortes de défis à l'adresse du personnel pénitentiaire qui appelle les CRS à la rescousse. C'est Zohra Drif qui nous décrit cette atmosphère qui sollicite de nos cinéastes un peu plus d'égard : «Dans les dortoirs obscurs, tandis que les CRS envahissent le hall, accrochées aux barreaux, grimpées aux fenêtres, nous voulons que ce soient ces chants patriotiques pour lesquels ils meurent (ceux qui marchaient vers le supplice) ; qu'ils entendent. Nous voulons leur donner, jusqu'à la fin le nom de la lucidité, le monde de la fraternité» (Zohra Drif – La mort de mes frères – cité par Danièle Djamila Amrane Minne dans Femmes au combat – Ed. Rahma 1993).
La plupart des condamnés à mort exigent d'accomplir la dernière prière, comme le fit Zabana avant de mourir, et refusent d'être assistés par un imam, proclamant qu'ils savent réciter eux-mêmes la «Chahada». Assez souvent, les exécutions étaient collectives, c'est-à-dire deux, trois, quatre et parfois cinq condamnés à mort étaient décapités à la même heure. Chacun assistait à la décapitation de son camarade qui le précédait, le dernier à mourir, regarde les têtes ensanglantées de ses compagnons tomber une à une dans la corbeille qui accompagne l'installation de la machine de la mort.
Dans la prison militaire de Constantine, durant les années 1957 et 1958, cinq exécutions avaient regroupé chacune quatre condamnés à mort décapités à la même heure. Des situations aussi dramatiques eurent lieu à Serkadji où le 22 juin 1957, cinq condamnés à mort furent exécutés à la même heure, c'est-à-dire le surlendemain de l'exécutions des quatre compagnons de Djoheur Akrour et Baya Hocine. Mostefa Boudina nous raconte(6) qu'au Fort-Mont-Luc (Lyon) «le frère Miloud Bougandoura a beau se débattre pour s'agenouiller et embrasser la tête de son compagnon Abdelkader Makhlouf qui venait d'être guillotiné, il en est empêché par ses bourreaux». Il avance à son tour vers l'échafaud, aussi digne que son compagnon, avec un courage et un sang froid exemplaires. A Serkadji, d'autres scènes aussi pénibles et aussi émouvantes se déroulent en dehors de cette enceinte carcérale où la guillotine est convoquée presque toutes les aubes. Dehors, chaque matin les familles algériennes viennent lire une liste collée au portail. Elle comporte les noms des condamnés à mort qui viennent d'être exécutés. Dès lors, plus de visite au parloir. Dès lors plus de panier à faire parvenir aux prisonniers. Dès lors, l'épouse, le frère, le fils ou la mère n'ont plus aucun espoir de revoir le prisonnier, disparu pour toujours. Des paquets de linge sont préparés par l'administration. Ils sont remis aux familles comme dernière preuve que ceux qui les portaient ne sont plus de ce monde.
Les mères viennent donc chaque matin devant les portes de Serkadji et demandent à celles qui savent lire de révéler les noms affichés. Lorsqu'elles apprennent que leurs enfants viennent de mourir elles acceptent le sort avec courage et résignation qui forcent l'admiration. «Lorsqu'il y avait une exécution, le gardien sortait avec un papier et appelait la famille de l'exécuté pour lui rendre ses affaires personnelles. Elles avaient du courage, ces mères et ces épouse ! Devant la porte de la prison elles ne montraient rien : ni pleurs, ni cris. Je revois encore une vieille femme lorsqu'on lui a rendu le baluchon de son fils. Elle s'est assise parterre, devant la porte de la prison et sortit le linge de son fils, elle embrassa sa chemise, son peigne, sa glace, tout ce qui était à lui. Mais jamais il n'y a eu de pleurs, de cris ou de lamentation » (Témoignage de Djamila Briki, recueillie par Danièle Djamila Amrane Minne dans Femmes au combat – p.215 Ed.Rahma 1993).
Les exécutions multiples sont devenues courantes, notamment entre 1956 et 1958. Cette pratique est sadique et déshonorante à la fois. Présenter deux jusqu'à cinq condamnés à mort, ensemble et les guillotiner au même moment, à une ou deux minutes d'intervalle entre l'un et l'autre des suppliciés, c'est faire montre d'un sentiment haineux, impitoyable envers des combattants qui se réclament d'une armée de libération et qui, en dépit des réprobations ici et là, et des recours en grâce jamais accordés, n'ont jamais bénéficié du statut de prisonniers de guerre. Le bourreau confirme ces exécutions en série, dans une durée très courte, phénomène exceptionnel, jamais connu auparavant dans l'histoire des exécutions : «A cette époque, il y a eu de nombreuses exécutions multiples. Dans l'histoire, c'est assez rare. En cinquante-trois ans d'exercice, Deibler a procédé à une quadruple exécution, deux triples et vingt-sept double» (Fernaud Meysonnier – Paroles de Bourreau p.191 – Ed. Imago – 2002). Or, entre 1956 et 1958, la guillotine a totalisé vingt exécutions doubles, treize triples, sept quadruples et deux quintuples, l'une à Alger et l'autre à Oran (source : Mostefa Boudina – Rescapé de la guillotine – Anep – 2008).
C'est lors de cette dernière exécution que Sidi Ikhlef s'est comporté d'une manière qui avait impressionné et le bourreau et l'ensemble du personnel appelé, de coutume, à assister aux exécutions.
Devant la guillotine, une sinistre machine qui suscite l'effroi, Ikhlef n'eut pas le moindre frisson et marcha vers le supplice avec un très fort sentiment d'acceptation de la mort, d'accepter la mort avec un grand amour pour la patrie, d'accepter le sacrifice suprême pour l'Algérie. Au pied de la guillotine, au moment où le bourreau s'apprêtait à lui introduire la tête dans la lunette, comme s'il était inspiré par le digne comportement de H'mida Zabana, le condamné à mort proclama de vive voix une sentence, celle qui est venue éliminer systématiquement la sentence macabre décidée par un système qui cultiva à outrance la haine et le racisme envers les Algériens : «Vous allez voir comment meurt Ikhlef pour l'Algérie» en enfonçant sa tête dans la lunette sans contrainte extérieure, la proposant avec une ferveur inégalée, au couperet qui va s'abattre dans les secondes qui suivent pour décapiter le corps. C'était le 7 février 1957.
Plus tard, le bourreau, racontant sa sinistre besogne, avouera : «Les gars qui sont morts courageusement, c'étaient souvent des politiques (par opposition au droit commun, NDL) sincères. Ils étaient fiers de mourir pour l'Algérie (...). Ils voulaient faire voir devant les français qu'ils étaient des durs et – des purs (Fernaud Meysonnier — Paroles de Bourreau – p.188 – Ed. Imago – 2003). Des pieds-noirs qui croisaient le bourreau à l'époque, lui interdisaient de dire que les condamnés à mort algériens mouraient courageusement. «Il ne faut pas en faire des héros», craignaient-ils. Le drame mêlé à la bravoure et l'héroïsme. Le drame mêlé à la vertu du sacrifice. Les Algériens, dans le chapitre douloureux de la condamnation à mort, ont donné les meilleurs enseignements de courage et du sentiment patriotique élevé. Des témoignages très poignants et très émouvants sont consignés aujourd'hui dans les ouvrages de Boualem Nedjadi (Viva Zabana) et de Mostefa Boudina (Rescapé de la guillotine).
Des témoignages sur l'attitude des condamnés à mort bannissant tout fléchissement au pied de la guillotine. Des Algériens, de tous âges, jeunes et vieux, célibataires ou mariés qui méprisent la sinistre machine et qui, jusqu'aux dernières secondes de leur vie, vilipendent le colonialisme et ses agents, associant leur foi religieuse et patriotique dans un cri ultime en guise de dernière prière et de dernier témoignage : «Allahou Akbar» «tahia El Djazaïr». Le contenu des ouvrages précités est-il enseigné dans nos écoles ? Le poème sublime du poète Moufdi Zakaria qui glorifie le sacrifice de H'mida Zabana est-il présent dans la mémoire de notre jeunesse ? Pour les condamnés à mort, le drame ne finit pas à la décapitation. Leur sépulture est totalement ignorée.
Des tombes ou fosses communes anonymes les attendent. Des corps, pour certains d'entre eux, sont transportés dans des hôpitaux «aux bons soins» des étudiants en médecine. Après leur exécution, les corps de condamnés à mort, plusieurs fois, furent soumis à des prélèvements d'organes, notamment les yeux qu'on destinait aux greffes de cornées. C'est ce que raconte, en toute quiétude, le bourreau de Serkadji. «A Alger, à deux ou trois reprises, le docteur Foissain a récupéré des yeux, une fois, j'étais sur le point de mettre la tête dans la corbeille, et mon père me dit : ‘‘Attends, il y a le docteur qui veut récupérer les yeux.'' Alors avec le docteur, on est allé sur un tabouret. Je me rappelle, j'ai posé la tête sur le tabouret.
Quand j'y pense, je posais la tête du condamné sur le tabouret où il était assis une minute avant ! Je tenais donc cette tête et le docteur, en quelques secondes, a coupé le nerf optique et il a mis les yeux dans un petit bocal.
Vite fait, bien fait. Et il est parti faire une opération de la cornée». (Fernand Meysonnier – Paroles de Bourreaux – p.125 – Ed. Imago 2002).
Voilà ce à quoi furent réduits les corps de nos condamnés à mort. Privés de sépulture traditionnelle, on y prélevait des organes pour satisfaire à des greffes. Un drame qui ne finit pas. Il se poursuit pendant les exécutions triples, quadruples ou quintuples. Dès lors qu'on savait plus quelle tête affecter à tel corps. Dans plusieurs cas, le personnel affecté à la guillotine ne prenait aucune peine pour savoir quelle tête appartenait à tel corps et enterraient les cadavres avec des têtes qui ne leur appartenaient pas(7).
Quand il y a des exécutions multiples, «le problème c'est de remettre leur tête avec les corps. Le pire c'est la fois où il y a eu cinq condamnés exécutés le même jour (...) C'est dur de dire quel corps va avec quelle tête (...) On a peut-être mis une tête avec un autre corps.
Même parfois les gardiens eux-mêmes ne savaient plus.
Oui, quand il y a avait trois ou quatre décapités dans la corbeille, les gardiens hésitaient. L'un disait, cette tête va avec ce corps, l'autre disait non». (Fernand Meysonnier – Paroles de Bourreau – pp.193-194 – Ed. Image –2007).
Ces hésitations et ces contradictions proviennent d'un personnel (bourreau et geôliers) totalement profane en matière d'anatomie. Dans les exécutions multiples, la «besogne» était rapide. Entre une décapitation et une autre, il s'écoulait une ou deux minutes au maximum. Cela étant, les gardiens et le bourreau n'allaient pas à nouveau s'attarder et se préoccuper quelle tête allait avec son corps au moment de la mise en cercueil de chacun des décapités. C'était le dernier souci d'une chaîne d'individus éparpillés à travers des corps et des institutions d'un système avaleur d'insurgés.
Les peines capitales prononcées par les tribunaux français pendant la guerre d'Algérie figurent désormais dans un bilan macabre qui révèle que la «condamnation à mort» se trouvait partie intime d'un vaste programme de répression. Une répression aux méthodes barbares, qui porte une très grave atteinte aux droits légitimes du peuple algérien, en lutte pour son indépendance mais aussi une grave atteinte aux droits humanitaires dont la France s'était tout le temps réclamée comme défenderesse.
Les chiffres sont amplement révélateurs et interprètent l'acharnement avec lequel agissait un système, prédisposé depuis l'invasion de 1830, aux tueries collectives et à l'extermination.
Ainsi 2010 Algériens furent condamnés à mort : 654 à Alger, 627 à Oran, 625 à Constantine et 144 en France. 210 condamnés ont été exécutés par l'utilisation de la guillotine qui se dressait avec une fréquence inouïe, l'une à Alger, l'autre à Constantine et la troisième en France (source : Mostefa Boudina – Rescapé de la guillotine – Ed. Anep – 2008).
Est-ce une digression que de s'être attardé sur le chapitre des condamnés à mort ? Certainement pas. Car Baya Hocine, nous raconte Fella Hadj Mahfoud(8), fut très affectée après l'exécution de ses quatre compagnons le 20 juin 1957. Elle partagera cet état déprimant avec d'autres prisonnières à Serkadji, toutes les fois qu'on vient sortir à l'aube un détenu pour le livrer à la guillotine.
Un traumatisme subi par l'ensemble des captives dont l'âme et la mémoire conservent à mes jours des blessures inguérissables : «Ce qui m'a le plus frappée pendant les neuf mois de détention à Barbarousse, ce sont les exécutions, pour moi, c'est le souvenir majeur, le plus mauvais, le plus terrible de toute la guerre témoigne Safia(9).
D'ailleurs Baya Hocine évoque ce pénible vécu dans la lettre ouverte qu'elle adressera en juillet 1980 au président de la République.
Présente au procès de sa fille, la mère de Baya est victime d'une attaque cérébrale, à la lecture du verdict qui prononce la peine capitale à l'encontre de l'adolescente. La mère mourra quelque temps après.
Baya est alors en prison. Un télégramme parvient. Il est remis aux compagnes de cellule qui prennent en charge de l'informer de la mauvaise nouvelle. C'était pendant le moment de «la gamelle». Toutes refusèrent de manger. Ce qui intrigua Baya qui insista sur ce comportement subit. «C'était difficile pour nous de lui annoncer le décès de sa mère», nous confie Fella Hadj Mahfoud. « Allez Flilou, me dit-elle, je t'en prie, dis-moi ce qui se passe. Dis-moi ce qu'il y a, c'est une attitude qui n'est pas de vos habitudes.»
Evidemment, nous avions fini par le lui dire. «Ecoute Baya, ma sœur, nous mourons toutes un jour. Alors, sois courageuse. Nous avons une mauvaise nouvelle pour toi. Ta mère est morte.» «Elle accepta la nouvelle avec un courage exemplaire. Nous croyions qu'elle allait flancher. Ce fut le contraire. C'était surprenant. C'était elle qui nous remontait le moral», nous rapporte Fella.
Elle avait presque terminé de manger. Après un moment de silence, elle répliqua : «Eh bien que puis-je dire, que puis-je faire ? Ma mère, Allah Yarhamha. Elle était malade et cela devait arriver un jour.
La mort est présente tous les jours avec nous. Vous oubliez que nos frères meurent presque tous les matins guillotinés.»
«La peine que Baya témoigne à ses frères condamnés à mort submerge celle qu'elle ressent du décès de sa mère. Puis, comme pour surmonter sa souffrance intérieure, elle entonne avec ferveur et enthousiasme : «Ikhuani la tensaw chouhadakoum».
Les filles qui l'entouraient l'accompagnent, non sans contenir leurs larmes. Nous venions de vivre des moments émouvants aux côtés de Baya qui nourrissait un grand amour pour l'Algérie» (entretien avec Fella Mahfoud- Alger le 2 juin 2010).
Le procès de Baya Hocine est Djoheur Akrour s'ouvre le 22 décembre 1957. Elles sont condamnées à mort. «Les familles des deux jeunes filles dans la salle ont failli être lynchées par une assistance hystérique. La même menace a plané pour la deuxième fois sur maître Dreyfus, avocate du collectif des avocats du FLN (Horizons, numéro spécial, «Les rescapées de la guillotine», mars 2009).
C'est également dans un climat d'hostilité que Nicole Dreyfus plaidera le 19 mars1957, lors du procès de Saïd Touati et ses trois compagnons. Baya Hocine et Djoheur Akrour sont alors citées comme témoins.
«Le plus dur a été la défense des garçons devant le tribunal militaire qui les a condamnés à mort et qui ont été guillotinés, ce que je peux vous dire, c'est quand nous sommes arrivés à l'audience, la foule a crié «A mort», quand je me suis levée. Et cet «A mort !» était aussi bien destiné aux prévenus qu'à leurs défenseurs. J'ai répondu que les droits de la défense étaient imprescriptibles et que cette attitude était scandaleuse». (http://www.hmani.fr)(10).
C'est le même accueil qui fut réservé à Me Jacques Verges quand il était venu assister Djamila Bourihed. Il est assailli de propos malsains qui ne sont que des insultes tenues par des individus aliénés par des théories racistes, aujourd'hui complètement désuètes, qui plaçaient «l'homme blanc», c'est-à-dire l'Européen, au sommet de la hiérarchie sociale et des races composant l'humanité. Ainsi par exemple, le célèbre avocat était traité de «traître» puis de «Chinois».
Néanmoins, l'avocat de Djamila Bouhired répliqua avec intelligence et par un savoir qui renvoya des incultes à réviser sinon à interroger la véritable histoire de l'humanité qui révèle le chronologie des civilisations : «Le procès s'est déroulé dans cette atmosphère de lynchage, au point où j'ai dit un jour alors que la salle m'interrompait : Est-ce qu'on est dans un procès ou dans un meeting d'assassinat ? Devrais-je dire à ces gens qui pendant que leurs ancêtres bouffaient des glands dans la forêt les miens construisaient des palais», propos de Me Jacques Verges recueillis par Farida Belkhiri (Horizons, numéro spécial, «Les rescapées de la guillotine», mars 2009).
Des mots célèbres ont fusé des bouches des insurgés algériens lors des procès dont les verdicts s'inséraient dans la logique colonialiste, une logique qui plaçait les Algériens dans un état «rébellion» portant par voie de conséquence atteinte à la souveraineté française. Un postulat qui ne reconnaissait pas aux combattants algériens leur statut de prisonniers de guerre quand ils sont capturés. Assez souvent donc les «accusés» ne reconnaissaient pas la compétence des tribunaux, se réclamant d'une armée en état de guerre contre un agresseur de 1830.
Les déclarations dans les «box des accusés» auront des retentissements au niveau de l'opinion mondiale en même temps qu'elles troublaient la composante des tribunaux militaires. Ces sentences — contre-sentences — sont de véritables «morceaux choisis» dans la littérature de combat qui méritent de figurer dans les programmes de l'éducation nationale. Nous proposons quelques «échantillons» qui vont marquer l'histoire des procès pendant la guerre d'Algérie. Lorsque le président du tribunal lui demande s'il elle avait agi de son plein gré dans l'attentat à la bombe du stade d'El-Biar le 10 février 1975, Baya Hocine répliqua : «Parce que j'avais l'impression que mon acte allait servir à quelque chose. Nous n'avons tué qu'une dizaine, vous en tuez vous autres des milliers et des milliers» (cité par Horizons, numéro spécial, «Les rescapées de la guillotine», mars 2009).
Auparavant, lors du premier procès des attentats à la bombe, Djamila Bouhired déclare : «La vérité est que j'aime mon pays et que je veux le voir libre et que pour cela, j'approuve la lutte du Front de libération nationale. Et c'est seulement pour cela que vous allez me condamner à mort après m'avoir torturée, comme vous avez tué mes frères Ben M'hidi, Boumendjel, Zeddour. Mais en nous tuant, n'oubliez pas que ce sont les traditions de liberté de votre pays que vous assassinez, son honneur que vous compromettez, son avenir que vous mettez en danger et que vous n'empêchez pas l'Algérie d'être indépendante» (Femmes au combat – p.181. Danièle Djamila Amrans Minne – Ed. Rahma 1993)
A. B.
(*) Docteur honoris causa, journaliste historien.
(1) Yve Benot Les massacres coloniaux Ed. La Découverte. Paris 1994.
(2) Amar Belkhodja – L'affaire Hamdani Adda, brûlé vif par l'OAS Enag-2009.
(3) Pour ce cas précis, les artificiers de Hamdani Adda (Région I, zone VII Wilaya V) récupéraient les engins largués mais qui n'explosaient pas et les réutilisaient dans les attentats (note de l'auteur).
(4) Plus tard, Philippe Castille se trouvera à la tête d'une bande de tueurs de l'OAS. La Fondation du 8 Mai 1945 avait suggéré alors de dresser une liste des tueurs de l'OAS et leur interdire de fouler le sol algérien (note de l'auteur).
(5) Les films de Hadj Rahim et Hacène Bouabdellah qui ont traité du sujet n'ont pas répondu entièrement à nos espoirs. Notre jeunesse ne sait pas tout et a besoin de connaître les immenses sacrifices consentis par les aînés. Ceux qui, parmi nous, ont pris les armes contre leur propre peuple, dans les années funestes 1990, ne savaient pas... ne savaient pas (note de l'auteur).
(6) Mostefa Boudina Rescapé de la guillotine, ed. Anep - 2008. Un autre ouvrage Viva Zabana de Boualem Nedjadi aux mêmes éditions est consacré à la guillotine. Ces deux ouvrages édifiants à plus d'un titre méritent amplement d'attirer l'attention de nos cinéastes qui, en vérité, ne se sont pas trop attardés sur le sujet (note de l'auteur).
(7) Les tueurs des GIA, pendant les années 1990, s'adonnaient délibérément à cette ignoble pratique en mélangeant les têtes de leurs victimes qu'ils égorgeaient froidement. Ils savaient qu'ils allaient mettre dans «l'embarras» les agents de l'Etat (médecine ou Protection civile) qui, arrivés sur les lieux du drame, ne savaient plus quelle tête allait avec son propre tronc.
On sait que sur ce plan anatomique la structure est propre à chaque individu. Membres et tête correspondent avec une parfaite harmonie au tronc. Dès lors qu'on imagine une tête (ou un autre membre) raccordée à un tronc qui ne lui appartient pas, c'est une véritable difformité qui apparaît. Un verset coranique nous édifie sur la question (citer le verset
(8) Entretien avec Fella Hadj Mahfoud le 2 juin 2010. Résistante urbaine et ancienne maquisarde. Détenue avec Baya Hocine dans plusieurs prisons tant en Algérie qu'en France. Les deux héroïnes sont restées très attachées bien après l'indépendance de l'Algérie.
(9) Danièle Djamila Amrane Minne, Femmes au Combat, p.161. Ed.Rahma, 1993.
(10) Des situations analogues mais plus graves encore eurent lieu à Madagascar au lendemain des massacres de 89 000 Malgaches en 1947 – 1948. Des avocats, constitués pour la défense des accusés (des députés) sont pris à partie. Me Pierre Stibbe est victime d'une tentative d'assassinat dont les auteurs «ne seront jamais retrouvés».
Me Henri Douzon est, quant à lui, enlevé par une bande d'Européens masqués. Il est lynché et laissé pour mort à 25 km de Tananarive. La Main rouge avait fomenté les agressions contre les deux avocats. Voir Amar Belkhodja Barbarie Coloniale en Afrique, Anep-2002 (note de l'auteur).


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