Il y a une année, peut-être un peu plus, un groupe de femmes invitaient leurs concitoyennes à «se rapproprier l'espace public» dans la capitale. En conviant les Algéroises à un café en terrasse ou à une discussion sur un banc public, ces braves dames ont certainement du mérite. Les choses étant ce qu'elles sont, il n'est pas évident que la chose soit si simple. Il n'est tout de même pas aisé de savoir si l'initiative relève de la folie téméraire ou de la petite ambition. N'est-ce pas que les femmes d'Alger et du reste du pays sont - théoriquement du moins - libres de papoter sur un banc public ou de siroter un jus d'orange en terrasse ? Et que si on ne le fait pas, ce n'est pas toujours pour les raisons qu'on croit ? Mais n'est-ce pas aussi que n'importe quel illuminé ou voyou ordinaire de passage peut s'en prendre à elles avec tous les gages d'impunité imaginables ? Mais il y a pire : en l'occurrence, non seulement personne n'attend plus de protection de la force publique, mais il arrive, et plus souvent qu'on ne le pense, que la peur vienne de là. N'est-ce pas enfin que la police et la gendarmerie, quand ce n'est pas la justice, sont plus dans la traque de jeunes couples coupables de câlins et d'ouvriers casseurs de Ramadhan sur chantier que dans la répression d'agresseurs de vieilles femmes et de rédempteurs de la société, ténébreux et violents. Sinon, ça se saurait : on n'aurait pas eu droit, cycliquement, à d'insupportables humiliations subies dans le silence parfois, la résignation souvent, et l'indifférence toujours. S'agissant d'espace public, on aurait peut-être fait l'économie de l'interpellation récente d'un jeune saltimbanque en guitare qui a eu la naïve outrecuidance de se «croire ailleurs» pour chanter à l'air… libre ! Dans la foulée, un premier rassemblement a été initié avec autant de mérite que de naïveté. Car, s'il n'y a que quelques brebis galeuses, affreusement solitaires, à s'émouvoir face au déni et l'arbitraire, face à une volonté politique manifeste d'abandonner la société à l'embrigadement rétrograde, cela n'est qu'une confirmation. Dans le meilleur des cas, que c'est cela le mode de vie que les Algériens ont choisi et que toute velléité de remise en cause en la matière relèverait de marginaux qui se trompent de pays. Dans le pire, que l'Etat est trop complaisant avec ces «épiphénomènes». Auquel cas il faudra sonner la fin de la récréation et sévir avec plus de fermeté ! Il est même étonnant que ça n'ait pas commencé hier à l'occasion du rassemblement organisé sur le parvis de la Grande Poste. Surtout que cette fois-ci, il y avait plus de monde et de guitares. Pour beaucoup moins, on a joué de la matraque et fait venir les paniers à salade. Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.