Nacer s'est présenté hier au bureau de poste de son quartier. Comme à chaque fin de mois, il va retirer sa paie. Rien n'a changé pour lui depuis «le temps de l'enveloppe», puisque comme beaucoup de petits salariés, il utilise un seul chèque par mois. Il n'a pas connu cette époque-là, mais il l'imagine, tellement elle a été ressassée par son vieux paternel. Lui, il l'a bien connue et il ne se prive pas de la rappeler avec force détail au bon souvenir de son rejeton. A chaque fois qu'il y a des «problèmes de liquidités», que le réseau informatique du centre des chèques postaux prend une bronchite carabinée, que le personnel du «secteur» débraye, qu'une panne d'électricité paralyse les retraits, qu'il perd son chéquier ou attend un nouveau qui se fait désirer, Nacer est obligé d'écouter la chanson de son père : «Finalement, votre technologie n'a créé que des problèmes. Quand on nous appelait un par un, comme à l'école, pour nous distribuer les enveloppes…» Et c'est reparti comme en quarante. Nacer part, lui, en quête d'une «solution» qui le délivrerait de la nostalgie inquisitrice de son géniteur. Une solution, ça peut être emprunter, trouver un bureau de poste qui a miraculeusement échappé à la paralysie ou dénicher une connaissance qui «active» la délivrance du carnet de chèques. Son histoire avec le compte CCP a quelque chose de paradoxal. Avant ça, Nacer disposait, comme la majorité de ses collègues, d'un compte bancaire. Il pouvait y avoir des grèves et des problèmes de réseau, mais son agence disposait d'un groupe électrogène et il n'y avait jamais de «problèmes de liquidités». Mais quand il était en congé de maladie durant plusieurs mois, Nacer a découvert, la mort dans l'âme, que la Cnas le payait avec des retards impossibles, chose qu'il pouvait éviter avec un compte postale. Il n'a jamais compris pourquoi, mais il avait compris pourquoi il fallait abandonner la banque pour la poste. D'autant qu'on lui avait expliqué qu'avec un compte CCP, il pouvait retirer son argent dans la poste du douar le plus reculé du pays. Là non plus, il n'a toujours pas compris comment ce qui est valable pour la poste ne l'est pas pour la banque, mais il a compris que c'est à n'y rien comprendre. On peut être payé dans n'importe quelle poste d'Algérie et on ne peut pas être payé à l'agence bancaire du boulevard Amirouche si on a son compte à la rue Didouche. La Cnas paie les arrêts maladie et les remboursements beaucoup plus rapidement à la poste qu'à la banque. La poste connaît de cycliques crises de liquidités que les banques ne connaissent jamais. Devant le bureau de poste envahi par la foule, puis une fois parvenu au guichet qui a limité les retraits à dix mille dinars, Nacer s'est demandé s'il ne faut pas encore retourner à la banque, puisque le temps de l'enveloppe, c'est apparemment terminé. Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir