Nous découvrons aujourd'hui, trop tardivement mais avec stupeur et colère, que les massacres de Sétif et Guelma n'étaient pas les seuls. D'autres précédèrent, d'autres suivirent, tout aussi monstrueux et destructeurs sur notre continent. Un dossier sur les “massacres coloniaux”, que nous a remis dernièrement un ami malgache, le révèle : Soudan français (Mali, Niger, Burkina Faso), 1898 ; Sénégal (tragédie du Camp de Thiaroye), 1944 ; Cameroun, 1945 ; Madagascar, 1947 (89 000 morts) ; Côte d'Ivoire, 1950 ; Tunisie (Cap Bon), 1952 ; Cameroun, 1958. Des livres nous manquèrent pour apprendre tout cela. Les manuels scolaires sont toujours restés silencieux sur l'ampleur et la dénomination de ces actes abjects. Seul le cinéma, malgré le petit nombre de films consacrés à ces crimes coloniaux, nous apporta quelques informations. L'Algérie, avec trois longs métrages, y a le plus contribué. Dès 1965, L'Aube des damnés, “film-éditorial”, courageux et puissant, réalisé par Ahmed Rachedi, sur un scénario de René Vauthier, et avec un commentaire lumineux de Mouloud Mammeri, annonce avec clairvoyance que les pays d'Afrique, nouvellement indépendants, ont enfin trouvé “une identité mais pas encore un visage”. Ensuite, Le Camp de Thiaroye de Sembene Ousmane, avec la précieuse contribution de Smaïl Lakhdar Hamina à l'image, nous dit tout le drame qu'ont vécu les “tirailleurs sénégalais” (en réalité des Maliens, Nigériens, Ivoiriens, Togolais, Sénégalais, etc.), à leur retour des champs de bataille de la Deuxième Guerre mondiale, où ils laissèrent des milliers des leurs pour la libération de l'Occident, du “monde libre” comme on nous l'a appris. N'oublions pas que Sembene nous avait donné auparavant son fameux Emitaï, dans lequel on pouvait voir les soldats coloniaux chasser les jeunes Sénégalais comme des bêtes sauvages dans la brousse pour les enrôler de force dans leur armée. Enfin, Mad 47 de Méziane Yala et de Randrasanasolo, malheureusement une pâle copie de l'Aube des damnés, nous donne tout de même une idée de la résistance et du courage du peuple malgache face aux massacres des hordes coloniales, qui ont fait 89 000 victimes. Auparavant, Afrique 50, film document de René Vauthier, précurseur comme à son habitude, nous avait dressé un tableau du continent africain entièrement dominé, du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest. Les autorités françaises ne s'étaient pas trompées sur la portée de ce film en l'interdisant dès sa sortie ! Il y a aussi Les Fellaghas du Tunisien Omar Khelifi. Ce long métrage nous apprend que le peuple tunisien a lutté et souffert avant de “recevoir son indépendance sur un plateau”, comme le prétendent encore aujourd'hui certains esprits aliénés. En dernier lieu, La Colonne Chanoine, de Med Hondo, dont le cinéma a toujours été militant, a tenté de rendre compte de la folie meurtrière de deux officiers français dont le passe-temps favori était de tirer sur les Arabes pour les exterminer. Malheureusement, des difficultés financières limitèrent son projet et atténuèrent la portée de son film. Aujourd'hui encore, c'est-à-dire dix ans après, Med Hondo ne comprend toujours pas pourquoi l'Algérie n'a pas participé à la production de ce film, lui qui espérait tant de notre pays et de sa politique de production de films engagés. En attendant que s'écrivent des livres et que se réalisent des films nouveaux sur ce thème, les organisateurs de festivals dans notre pays devraient peut-être penser à rassembler et donner à voir les films que nous venons de citer. Ainsi, le propos de notre ami Arezki Metref tomberait en désuétude. “Ce qui est bizarre chez nous, nous disait-il, c'est que nous tournons le dos à la fois à la mer et au désert !”. C'est, en effet, une vérité indéniable que “moins nous fréquentons le désert, plus nous nous éloignons de l'Afrique”. Pour terminer, nous citerons ces vers de Kateb Yacine, si terriblement marqué (lui-même et sa mère qui en perdit la raison) par les massacres du 8 Mai 1945, à Sétif et Guelma : “Fils de l'Atlas / Quand vous mouriez / Brûlés dans les cavernes / Et vous Malgaches / Quand vos corps éclatés / Roulaient sur nos rivages / C'est le même crime / Et la même souffrance / La vieille Afrique / Au cœur percé de flèches.” B. K.