Avec la réélection d'Erdogan pour un troisième mandat avec une légère majorité, il est laissé à penser que la Turquie s'en est tenue à un statu quo. L'événement n'est pas aussi simple sinon on aurait eu, à l'issue des élections présidentielles turques, un taux d'abstention conséquent. Tel ne fut pas le cas. Le rival d'Erdogan n'a pas été élu car, aux yeux de la majorité des électeurs, il représentait des lendemains incertains. Le libéralisme occidental qu'il promettait n'a pas convaincu le peuple turc réticent à faire un pas vers l'inconnu. On croit souvent à tort qu'un électeur, bulletins de vote en mains, est forcément guidé par sa conviction idéologique pour faire son choix. Face à lui-même et en tout lieu, l'électeur d'aujourd'hui est animé par un pragmatisme individuel l'orientant d'abord vers son propre intérêt. Quand il vote, il élit sa propre personne en fonction des dividendes que l'urne lui rapporterait. En l'espèce, l'exercice n'est pas un jeu à pile ou face d'autant que l'avenir du monde ne s'annonce pas rose et les individus ont une tendance lourde à ménager le peu de garanties que leur offre le présent. Il n'est pas dit qu'après la réélection du président sortant, la Turquie se mettrait à l'abri des turbulences économiques et sociales dans lesquelles elle est empêtrée. Mais à cheval sur deux mondes de plus en plus opposés, et étant paradoxalement membre à part entière de l'alliance transatlantique, elle a eu à être dirigée par un homme qui a pu tant bien que mal la maintenir en équilibre. Malgré leurs existences difficiles, malmenées par le naufrage de sa monnaie, et les torts dont on les a affublés, les Turcs lui doivent d'avoir pu garder à leur pays un rôle important dans le concert des nations. La Turquie reste un pays écouté et Erdogan a démontré, malgré son profil souvent décrié, qu'il pouvait conserver les clés des grandes manœuvres d'un sous-continent névralgique.
